Jurisprudence
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 octobre 2021, 20-12.059, Publié au bulletin
N° de pourvoi 20-12059
ECLI:FR:CCASS:2021:SO01130

M. Cathala
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Waquet, Farge et Hazan

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 octobre 2021




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 1130 FS-B

Pourvoi n° W 20-12.059



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 OCTOBRE 2021

La société Adient Fabrics France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 20-12.059 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2019 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à M. [L] [P], domicilié chez M. [J] [P], [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Silhol, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Adient Fabrics France, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [P], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 31 août 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Silhol, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 6 décembre 2019), M. [P] a été engagé le 20 mai 2009 en qualité d'ingénieur développement, statut cadre, par la société Michel Thierry Group, aux droits de laquelle se trouve la société Adient Fabrics France (la société). Le contrat de travail contenait une clause de non-concurrence.

2. Après avoir démissionné le 21 mars 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale afin, notamment, d'obtenir le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié des sommes au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence et de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'appel, alors « que la contrepartie financière d'une clause de non-concurrence, ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaire qui tend à sauvegarder la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle et à compenser l'atteinte qui y est portée, est bien une clause pénale que le juge a la faculté de modérer ou d'augmenter ; qu'en énonçant que cette contrepartie financière de la clause de non-concurrence n'était pas une clause pénale dont le montant pût être réduit par le juge au motif inopérant qu'elle avait la nature d'un salaire, la cour d'appel a violé les articles 1231-5 (ancien article 1152) du code civil et L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. La contrepartie financière de la clause de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l'engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d'activité concurrente à celle de son ancien employeur, et ne constituant pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle, la cour d'appel a exactement décidé qu'elle n'était pas une clause pénale.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Adient Fabrics France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Adient Fabrics France et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Adient Fabrics France


Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR dit et jugé que la clause de non concurrence pouvait s'appliquer et d'AVOIR condamné la SASU Adient Fabrics France à payer à M. [P] les sommes de 79.968,24 euros au titre de la contrepartie de la clause de non-concurrence et 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'appel ;

AUX MOTIFS QUE « M. [L] [P] expose qu'il a pris la décision de démissionner compte tenu de l'absence d'évolution de sa carrière et des conditions de travail évoquées lors de la réunion du comité d'entreprise du jeudi 26 mai 2016 et de la lettre du 8 janvier 2016 qu'il a signée, adressée aux responsables recherche et développement du site par l'ensemble des développeurs du bureau d'étude qui expriment leurs craintes sur le devenir incertain du site et leurs légitimes revendications ; qu'il soutient que la clause de non-concurrence est valable pour remplir les conditions cumulatives exigées par les textes et qu'elle ne peut être révoquée que de l'accord des parties selon les termes du contrat ; qu'il ajoute qu'il n'a pas demandé la levée de la clause et a refusé par la suite de signer l'avenant qui lui avait été proposé ; qu'il invoque le caractère intangible du contrat qui trouve uniquement ses limites au profit de la partie contractante la plus vulnérable et souligne que la contrepartie n'est nullement exorbitante au regard de ses fonctions et de ses obligations qui l'ont contraint à chercher un emploi dans un secteur totalement étranger à ses compétences et à travailler désormais, après formation à [Localité 1], dans la fabrication de matériel médicolégal-chirurgical et dentaire ; que la SASU Adient Fabrics France soutient que la clause de non-concurrence est inapplicable tant en fait qu'en droit ; qu'en fait, parce qu'il a sollicité la levée de la clause que la société avait expressément accepté et qu'il aurait détourné des informations constituant de fait une violation de l'obligation de loyauté incompatible avec le respect de toute obligation de non-concurrence ; qu'en droit, elle soutient la nullité de la clause à raison du caractère exorbitant de la contrepartie financière au regard de l'article 32 de la convention collective qui la limite à 1/3 du salaire et de la capacité financière de l'entreprise ; qu'à titre subsidiaire, elle fait valoir qu'une telle clause doit être analysée en une clause pénale assimilable à une indemnité contractuelle de rupture dans la mesure où sa durée a pour effet de le prémunir d'un éventuel licenciement et qu'il appartient au juge de réduire dans de justes proportions ; que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; qu'en fait, M. [L] [P] a écrit à son employeur le 4 avril 2016 pour l'interroger sur la position qu'il comptait prendre quant à la clause de non-concurrence dont il n'a pas demandé la levée contrairement à ce que soutient la SASU Adient Fabrics France ainsi qu'il ressort de ladite lettre "comme vous devez le savoir très bien, cette clause peut être un frein et un handicap important pour ma recherche d'emploi. Je souhaite savoir SVP la position de Johnson Controls au sujet de cette clause : est-ce que oui ou non cette clause sera maintenue pour mon cas ? Je vous remercie pour votre compréhension." ; que M. [L] [P] justifie qu'il a renoncé à une offre d'emploi en l'absence de réponse de l'employeur à son interrogation et a refusé de signer l'avenant proposé a posteriori le 23 mai 2016 ; que la SASU Adient Fabrics France ne peut donc se prévaloir d'aucun accord sur la levée de la clause de non- concurrence ; qu'en second lieu, la SASU Adient Fabrics France prétend que la clause ne serait pas applicable car le salarié aurait contrevenu à son obligation de loyauté en se livrant à une concurrence déloyale en cours du contrat rendant la clause de non-concurrence sans objet pour avoir demandé un devis et les plans d'un dérouleur de lanière pour tissage [F] ainsi que l'atteste Monsieur [Y] qui lui a transmis par courriel du 15 avril 2016 une copie d'un devis d'un dérouleur de lanière de la société Fotia DMT ; que la SASU Adient Fabrics France n'explicite pas en quoi cette demande de devis qu'elle qualifie seulement d'étrange constituerait un acte de concurrence déloyale ; qu'en droit, pour qu'une clause de non-concurrence soit valable et opposable au salarié : elle doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporter l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière ; que l'article 13 du contrat de travail du 20 mai 2009 relatif à la clause de non- concurrence énonce :
"le salarié s'engage, postérieurement à la rupture de son contrat de travail quelle qu'en soit la cause, à ne pas exercer directement ou indirectement des fonctions similaires ou concurrentes de celles exercées au sein de la société.
Plus particulièrement, il s'engage à ne pas travailler en qualité de salarié ou de non- salarié pour une entreprise concurrente et à ne pas créer, directement ou indirectement, par personne interposée, d'entreprise ayant des activités concurrentes ou similaires à celles de la société.
Cet engagement est limité aux sociétés concurrentes à Michel Thierry Group à une durée de 2 ans.
Toutefois, la société et le salarié se réservent la possibilité de réduire la durée d'application de cette clause ou d'y renoncer totalement par accord entre les parties aux plus tard 8 jours après le dernier jour du travail du salarié, le principe de réduction proportionnelle ou suppression de l'indemnité en conséquence étant déjà admis"
Que l'article 1103 (1134 ancien) du code civil énonce le principe que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites? » ; que formellement, la clause remplit toutes les conditions de validité sauf à justifier qu'elle a été détournée de son objet à raison de son caractère exorbitant ; que la SASU Adient Fabrics France ne démontre pas qu'elle ait été détournée de son objet à raison de sa durée de 2 ans, durée qui ne pouvait avoir pour effet de l'empêcher de licencier le salarié ; qu'il n'est pas davantage soutenu qu'au moment de sa conclusion, elle était sans rapport avec les capacités financières de l'entreprise ; qu'en outre, il n'est pas contesté que les autres salariés occupant des fonctions sensibles comme la sienne soient liés également par une clause de non-concurrence ; que la contrepartie financière de la clause de non concurrence n'est pas une clause pénale dont le montant pourrait être réduit par le juge ainsi que l'on fait les premiers juges car elle a la nature d'un salaire ; que l'article 32 de la convention collective de l'industrie textile ne fixe qu'une contrepartie minimum qui est pour les cadres de 1/3 du salaire et le versement d'une indemnité de non-concurrence ne peut être calculée différemment selon qu'il est mis fin au contrat de travail, par un cas de licenciement prononcé par l'employeur, ou un cas de démission à l'initiative du salarié ; que par ailleurs, la SASU Adient Fabrics France expose qu'elle reste le seul équipementier automobile à être en mesure de développer et fabriquer des produits de la famille "[F]" dont le nom est d'ailleurs protégé de telle sorte que la clause de non-concurrence est justifiée par la spécificité de ses produits qu'elle a intérêt à protéger ; qu'en dernier lieu, la SASU Adient Fabrics France ne rapporte pas la preuve de la violation de cette clause par le salarié qui justifie l'avoir respectée ; que de sorte qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la clause de non-concurrence valable dans son dispositif et de le réformer en ce qu'il l'a réduite à proportion des dispositions concernant les minima de la convention collective et de faire droit à la demande de M. [L] [P] ; que la SASU Ardient Fabrics France qui échoue en ses prétentions sera condamnée aux entiers d'appel ; que M. [L] [P] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de cette procédure ; que la SASU Ardient Fabrics France sera donc tenue de lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 al. 1er 1° du code de procédure civile » ;

1. ALORS QUE la contrepartie financière d'une clause de non-concurrence, ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaire qui tend à sauvegarder la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle et à compenser l'atteinte qui y est portée, est bien une clause pénale que le juge a la faculté de modérer ou d'augmenter ; qu'en énonçant que cette contrepartie financière de la clause de non concurrence n'était pas une clause pénale dont le montant pût être réduit par le juge au motif inopérant qu'elle avait la nature d'un salaire, la cour d'appel a violé les articles 1231-5 (ancien article 1152) du code civil et L. 1221-1 du code du travail ;

2. ALORS QUE sauf à considérer que M. [P] reconnaissait à son employeur le droit de lever unilatéralement la clause de non-concurrence, les termes de la demande qu'il a adressée le 4 avril 2016 caractérisaient une volonté claire et non équivoque de conclure un avenant de renonciation à la clause de non-concurrence, dont le salarié indiquait qu'elle constituait « un frein et un handicap important pour sa recherche d'emploi », de telle sorte que l'acceptation donnée par l'employeur le 23 mai suivant a permis la formation d'un accord de renonciation, peu important que le salarié ait écarté une offre d'emploi sans attendre l'expiration du délai prévu par son contrat de travail pour la conclusion d‘un tel accord ; qu'en jugeant que la société Adient Fabrics France ne pouvait se prévaloir d'aucun accord sur la levée de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre de Monsieur [P] du 4 avril 2016 et a violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les écrits produits devant lui, ensemble l'article 1103 du code civil ;

3. ALORS QUE le contrat de travail autorisant les parties à réduire la durée d'application de la clause de non concurrence ou d'y renoncer au plus tard 8 jours après le dernier jour du travail du salarié, il en résulte que la cour d'appel ne pouvait pas écarter la formation d‘un tel accord dans les délais requis au motif que le salarié prétendait avoir renoncé à une offre d'emploi en l'absence de réponse immédiate de l'employeur à sa demande relative à la levée de la clause de non-concurrence, avant même que sa démission ait pris effet et qu'il ait cessé son travail ; qu'en statuant par ce motif inopérant et en jugeant que la clause de non-concurrence devait produire tous ses effets, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail.