Jurisprudence
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 2 décembre 2008, 08-13.185, Inédit
N° de pourvoi 08-13185

Mme Tric (conseiller doyen faisant fonction de président)
Me Foussard, SCP Thouin-Palat et Boucard

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1989, M. Michel X... a consenti à ses enfants, dont M. Olivier X..., une donation-partage avec réserve d'usufruit portant sur les parts de la société civile Plastholding ; que les statuts de cette société stipulaient que le droit de vote appartenait à l'usufruitier pour les décisions ordinaires et extraordinaires et précisaient que dans tous les cas les nus-propriétaires étaient obligatoirement convoqués aux assemblées générales ; que par décision prise en assemblée générale extraordinaire le 6 septembre 2003, les associés de la société Plastholding ont approuvé un projet de fusion ayant pour objet l'absorption de cette société par la société civile Holding des Boëles, laquelle est à cette occasion devenue la société Plastholding ; que M. Olivier X..., soutenant que la stipulation statutaire réservant le droit de vote à l'usufruitier était illicite, a demandé l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée ;

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1844 du code civil ;

Attendu que pour dire que la clause des statuts réservant le droit de vote à l'usufruitier est illicite et annuler les délibérations adoptées grâce au vote de celui-ci, l'arrêt retient que cette clause méconnaît les prérogatives essentielles découlant de la propriété et de l'usufruit en ce qu'elle permet à l'usufruitier de porter atteinte à la substance de la chose sur laquelle porte l'usufruit ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle, si une part est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès lors qu'ils ne dérogent pas au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur la troisième branche du même moyen :

Vu l'article 1844 du code civil, ensemble l'article 1382 du même code ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que la substance du droit de propriété de M. Olivier X... a été méconnue par l'abus du droit de vote délibérément commis par l'usufruitier ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l'intérêt de la société, dans le seul dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 février 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen, autrement composée ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la société Plastholding la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille huit.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me FOUSSARD, avocat aux Conseils pour la société Plastholding

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a « dit que l'article 21-IV des clauses statutaires de la Société civile PLASTHOLDING, aujourd'hui absorbée et dissoute, méconnaît les prérogatives essentielles découlant de la propriété et de l'usufruit » puis, « en conséquence, dit nulles et de nul effet les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 6 septembre 2003 en ce qu'elles ont abouti, par le vote de l'usufruitier, par adoption et transcription du traité de fusion, à l'absorption et à la dissolution de la Société civile PLASTHOLDING, et ce en méconnaissance des droits de nue-propriété de M. Olivier X... dans cette société » ;

AUX MOTIFS QUE « sur le cadre légal des droits de vote sur des parts dont la propriété est démembrée, selon les dispositions de l'article 1844 du Code civil (dans le titre consacré à la société), « Si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier » ; que la possibilité légale de déroger, par des statuts, à cette disposition supplétive de la volonté non exprimée des parties, ne saurait porter atteinte au droit de propriété prévu par l'article 544 du Code civil (dans le livre consacré aux biens et aux différentes modifications de la propriété), au-delà des prévisions de l'article 578 du même Code selon lesquelles « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais a la charge d'en conserver la substance » ; qu'en conséquence, M. Michel X..., en consentant donation à ses enfants, a la charge, en sa qualité d'usufruitier, de conserver la substance du droit dont son fils Olivier (notamment) a la propriété, sans pouvoir lui opposer son consentement aux statuts de la société civile, lesquels se renferment sur l'objet spécifique du droit des sociétés, lequel n'est pas d'évincer le droit de propriété lui-même ; que sur l'application à l'espèce, il est constant, par le calcul des parts, que M. Olivier X... détenait 190.820 parts (25.129 en pleine propriété + 165.691 en nue-propriété), avant les délibérations litigieuses du 6 septembre 2003, soit la majorité absolue (190.696 + 1) des 381.392 parts de la société civile ; que par l'effet de la clause statutaire réservant, en toute hypothèse, le droit de vote à l'usufruitier, ce dernier a méconnu les observations critiques du nu-propriétaire et son vote négatif ; que par les délibérations litigieuses, M. Olivier X... a perdu une prérogative essentielle de son droit de propriété sur la société ; qu'en effet, cette société a été absorbée et dissoute dans la Société HOLDING DES BOELES, dont il ne conserve pas le propriété à l'identique puisque, sur le nombre total des parts ainsi porté à 727.997, il ne dispose plus que des 25.129 parts en pleine propriété et de 165.691 parts en nue-propriété, celles-là mêmes qu'il a été contraint, par les délibérations litigieuses, d'apporter à la société absorbante ; qu'en conséquence, la substance même du droit de propriété de M. Olivier X... dans la Société civile PLASTHOLDING ayant été méconnu par l'abus du droit de vote délibérément commis par l'usufruitier, le jugement sera infirmé et il sera statué à nouveau, dans les termes spécifiés au dispositif (…) » (arrêt, p. 3 et 4) ;

ALORS QU'il résulte des énonciations du dispositif, qui ont seules un caractère décisoire, que les dispositions figurant à l'article 21, paragraphe IV, des statuts ont été déclarées illicites et que c'est en conséquence de l'illicéité de ces dispositions que les délibérations de l'assemblée générale du 6 septembre 2003 ont été annulées ; qu'il ressort des motifs que les juges du second degré se sont déterminés, non pas en considération de l'illicéité des dispositions figurant à l'article 21, paragraphe IV, des statuts, mais en considération d'un abus du droit de vote qu'aurait commis l'usufruitier des parts sociales lors de l'assemblée générale du 6 septembre 2003 ; qu'il s'ensuit que l'arrêt attaqué, fondé sur des motifs impropres à justifier son dispositif, est privé de base légale au regard des articles 544 et 578, 1134 et 1844 du Code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a « dit que l'article 21-IV des clauses statutaires de la Société civile PLASTHOLDING, aujourd'hui absorbée et dissoute, méconnaît les prérogatives essentielles découlant de la propriété et de l'usufruit » puis, « en conséquence, dit nulles et de nul effet les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 6 septembre 2003 en ce qu'elles ont abouti, par le vote de l'usufruitier, par adoption et transcription du traité de fusion, à l'absorption et à la dissolution de la Société civile PLASTHOLDING, et ce en méconnaissance des droits de nue-propriété de M. Olivier X... dans cette société » ;

AUX MOTIFS QUE « sur le cadre légal des droits de vote sur des parts dont la propriété est démembrée, selon les dispositions de l'article 1844 du Code civil (dans le titre consacré à la société), « Si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier » ; que la possibilité légale de déroger, par des statuts, à cette disposition supplétive de la volonté non exprimée des parties, ne saurait porter atteinte au droit de propriété prévu par l'article 544 du Code civil (dans le livre consacré aux biens et aux différentes modifications de la propriété), au-delà des prévisions de l'article 578 du même Code selon lesquelles « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais a la charge d'en conserver la substance » ; qu'en conséquence, M. Michel X..., en consentant donation à ses enfants, a la charge, en sa qualité d'usufruitier, de conserver la substance du droit dont son fils Olivier (notamment) a la propriété, sans pouvoir lui opposer son consentement aux statuts de la société civile, lesquels se renferment sur l'objet spécifique du droit des sociétés, lequel n'est pas d'évincer le droit de propriété lui-même ; que sur l'application à l'espèce, il est constant, par le calcul des parts, que M. Olivier X... détenait 190.820 parts (25.129 en pleine propriété + 165.691 en nue-propriété), avant les délibérations litigieuses du 6 septembre 2003, soit la majorité absolue (190.696 + 1) des 381.392 parts de la société civile ; que par l'effet de la clause statutaire réservant, en toute hypothèse, le droit de vote à l'usufruitier, ce dernier a méconnu les observations critiques du nu-propriétaire et son vote négatif ; que par les délibérations litigieuses, M. Olivier X... a perdu une prérogative essentielle de son droit de propriété sur la société ; qu'en effet, cette société a été absorbée et dissoute dans la Société HOLDING DES BOELES, dont il ne conserve pas le propriété à l'identique puisque, sur le nombre total des parts ainsi porté à 727.997, il ne dispose plus que des 25.129 parts en pleine propriété et de 165.691 parts en nue-propriété, celles-là mêmes qu'il a été contraint, par les délibérations litigieuses, d'apporter à la société absorbante ; qu'en conséquence, la substance même du droit de propriété de M. Olivier X... dans la Société civile PLASTHOLDING ayant été méconnu par l'abus du droit de vote délibérément commis par l'usufruitier, le jugement sera infirmé et il sera statué à nouveau, dans les termes spécifiés au dispositif (…) » (arrêt, p. 3 et 4) ;

ALORS QUE, premièrement, les statuts sont libres de décider que le droit de vote sera dévolu à l'usufruitier en cas de démembrement des parts sociales, sauf à réserver le droit pour le nu-propriétaire d'être convoqué à l'assemblée générale et de s'y exprimer ; qu'en l'espèce, l'article 21, paragraphe IV, des statuts de la Société PLASTHOLDING était ainsi conçu : « Si une part est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient à l'usufruitier pour les décisions ordinaires et extraordinaires. Dans tous les cas, les nus-propriétaires sont obligatoirement convoqués aux assemblées générales » ; qu'en décidant que cette disposition était illicite, les juges du fond ont violé les articles 544 et 578, 1134, 1844 et 1844-4 du Code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, l'abus dans l'usage du droit de vote ne saurait être déduit, s'agissant d'une délibération portant sur un projet de fusion-absorption, sur le seul fait que l'un des associés, dans l'entité résultant de la fusion, n'aura plus la majorité du capital ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 1832, 1843-2, 1844 et 1844-4 du Code civil, ensemble les règles régissant l'abus ;

Et ALORS QUE, troisièmement et en tout cas, l'abus du droit de vote ne peut être retenu que s'il est constaté que le vote a été contraire à l'intérêt général de la société et procède de l'unique dessein de favoriser un groupe d'associés au détriment d'un autre ; que faute d'avoir constaté que tel était le cas en l'espèce, les juges du fond ont, à tout le moins, entaché leur décision d'un défaut de base légale au regard des articles 1832, 1843-2, 1844 et 1844-4 du Code civil, ensemble les règles régissant l'abus.