Jurisprudence
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 février 2009, 07-43.948, Inédit
N° de pourvoi 07-43948

Mme Morin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau et Fattaccini

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué et les pièces de la procédure, que M. X... engagé par la société Y... France en 1975 en qualité d'ingénieur service, position IIA de la classification conventionnelle applicable, a été promu cadre IIIA en mars 1983 et occupait en 1991, avec cette qualification, les fonctions de directeur marketing dans cette société ; qu'il a été élu secrétaire du comité d'entreprise en 1992 ; qu'il a été nommé responsable du développement de la filiale Y... Ile-de-France en novembre 1992 puis détaché en 1994 auprès de la filiale JCB Service dans un poste d'ingénieur service, avec maintien de sa qualification ; qu'il a été ensuite réintégré dans la société Y... France en 1995 dans le même emploi ; qu'il est parti à la retraite le 31 décembre 2004 ; qu'estimant que les détachements dont il avait fait l'objet depuis 1992 qui l'avaient privé d'une prime d'objectif qu'il percevait antérieurement ainsi que ses changements de fonctions et la très faible progression de sa rémunération depuis cette date constituaient une discrimination syndicale, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'expertise pour procéder à sa reconstitution de carrière ou à défaut en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Y... France :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;



Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. X... :

Vu les articles 1221-1 du code du travail, 1134 et 1315 du code civil, ensemble l'article L. 2141-5 du code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande d'expertise pour reconstitution de carrière ou à défaut en dommages-intérêts pour discrimination syndicale, la cour d'appel retient que nonobstant l'absence d'accord écrit, le salarié s'est plié au changement de ses conditions de travail tout au long de sa carrière depuis son accession au statut de salarié protégé ; que s'il allègue avoir protesté verbalement contre ces modifications il ne le démontre pas, aucun élément ne permettant de penser que les changements de conditions de travail aient apporté une entrave à l'exercice de ses fonctions, de sorte que rien ne rend vraisemblable la discrimination dont il se plaint ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune modification du contrat de travail ni aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé sans son accord qui ne saurait résulter de la poursuite de l'exécution du contrat aux nouvelles conditions sans protestation ni réserve, la cour d'appel qui a renversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen du pourvoi de M. X... :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qui concerne la condamnation de la société JBC France au paiement d'une somme à titre d'indemnité compensatoire de congés payés avec les intérêts de droit à compter du 1er mars 2006, l'arrêt rendu le 24 mai 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Laisse à chaque partie la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Y... France à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur X..., salarié protégé, de sa demande tendant à la condamnation de son employeur au paiement d'une somme de 130 000 à titre de dommages et intérêts pour modification unilatérale de son contrat de travail, et de l'avoir condamné aux dépens ;

AUX MOTIFS propres QUE "le salarié reproche à l'employeur de lui avoir imposé des changements dans ses conditions de travail et des modifications de son contrat de travail accompagnées d'une évolution parfois défavorable de sa rémunération sans accord préalable de sa part et en violation de son statut de salarié protégé, comme secrétaire du comité d'entreprise depuis septembre 1991 ; qu'il se plaint également du caractère discriminatoire de ce traitement ; qu'il en veut pour preuve en premier lieu sa mutation en janvier 1993 du poste de directeur marketing, pièces de rechange cadre III A au sein de la filiale JCB Service au poste de responsable développement activité service après vente auprès d'une société filiale, la Société Y... Ile de France, avec perte concomitante de sa prime annuelle pour objectifs qu'il percevait par avance trimestrielle depuis plus de 14 ans, subissant ainsi une perte de rémunération moyenne de 102 936 sur 12 ans ; en deuxième lieu, sa nomination puis son affectation en janvier 1994 au sein de la Société JCB Service avec rétrogradation au poste d'ingénieur services après vente ; en troisième lieu, sa réintégration en 1995 au sein de la Société Y... SA avec une augmentation de 490 francs seulement, de sorte qu'il s'est retrouvé en 2003 au poste d'ingénieur service moyennant un salaire forfaitaire mensuel qui n'avait progressé que de 2 108,83 depuis 11 ans, et en cinquième lieu, que Messieurs Z... et A..., entrés dans l'entreprise la même année que lui, ont obtenu des augmentations de salaire plus importantes que lui sur l'ensemble de leur carrière (…)" ;

QUE certes, aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé, et qu'il appartient à l'employeur d'engager la procédure de licenciement, en cas de refus, par le salarié, de cette modification ou de ce changement en demandant l'autorisation à l'inspecteur du travail, l'absence de protestation ou la poursuite de l'activité aux nouvelles conditions ne valant pas acceptation tacite ;

QUE cependant les primes dont le salarié se plaint d'avoir été privé à la suite de mutation de 1993 n'étaient pas prévues contractuellement, tandis qu'il n'est évoqué ni a fortiori démontré aucun élément de nature à laisser penser qu'elles répondent à un usage de l'entreprise ou (à) un engagement unilatéral ; qu'il n'apparaît pas que la suppression de cette prime, ni que les différents changements survenus dans la carrière de l'appelant traduisent des modifications du contrat de travail, qui ne sauraient ressortir de simples modifications de ses titres au gré de ses mutations d'une société du groupe dans l'autre ;

ET AUX MOTIFS adoptés QUE ", selon les bulletins de salaire produits…pour la période de 1975 à 1991, la Société Y... lui a versé des primes exceptionnelles pendant plusieurs années, dont le montant était différent chaque fois ; que Monsieur X... a produit des notes concernant le calcul des primes sur objectifs pour la période de 1983 à 1991, démontrant le caractère variable et aléatoire de ces primes exceptionnelles qui n'étaient versées que si les objectifs étaient atteints et sans autre conséquence pour lui" ;

1°) ALORS QUE le transfert du salarié d'une société à une autre au sein d'un même groupe constitue une modification du contrat de travail qui ne peut intervenir sans son accord ; qu'en énonçant que les mutations successives de Monsieur X..., salarié protégé, d'une société du groupe dans l'autre avec "modification de ses titres" et de sa rémunération, consécutive à la suppression d'une prime, ne caractérisaient pas une modification du contrat de travail sans rechercher si notamment la mutation de Monsieur X... au service de la Société Y... ILE DE FRANCE, qui avait pris sur ses bulletins de salaire la qualité d'employeur et lui servait sa rémunération, n'avait pas emporté transfert du salarié au service d'une nouvelle personne morale et, partant, modification du contrat de travail, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.121-1 du Code du travail ;

2°) ALORS QUE la suppression, en conséquence d'une mutation, d'une prime sur objectifs versée sans interruption pendant 14 ans constitue une modification du contrat de travail ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1134 du Code civil ;

3°) ALORS subsidiairement QUE constitue une modification du contrat de travail la perte, subie par le salarié en conséquence d'une mutation unilatéralement décidée par l'employeur, d'une chance de percevoir une prime sur objectifs régulièrement servie pendant 14 ans ; qu'en imposant à Monsieur X..., salarié protégé, une mutation au sein de sa filiale Y... ILE DE FRANCE emportant suppression d'une prime sur objectifs, même variable et aléatoire, régulièrement servie pendant plus de dix ans pour un montant annuel moyen de 8 577 , la Société Y... FRANCE l'avait privé de la probabilité de percevoir cette prime pour les années suivantes et opéré ainsi une modification du contrat de travail ; qu'en décidant le contraire la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les textes susvisés ;

AUX MOTIFS propres QUE, "…nonobstant l'absence de consentement préalable écrit du salarié protégé au changement de ses conditions de travail, il s'y est plié sans qu'aucune protestation ni réserve tout au long de sa carrière depuis son accession au statut de salarié protégé ne ressorte du dossier ; que si le salarié soutient s'être élevé verbalement plusieurs fois contre la discrimination dont il prétend avoir fait l'objet, il ne le démontre pas ; qu'aucun élément ne permet de penser que ces changements de ses conditions de travail aient pu constituer une entrave à l'exercice de ses fonctions de membre du Comité d'entreprise (…)" ;

ET AUX MOTIFS adoptés QUE "par un avenant du 1er juillet 1998 au contrat de travail daté du 15 octobre 1975, la société Y... et Monsieur X... ont signé ce qui suit : "vos appointements mensuels de base restent inchangés et sont pour un horaire de travail de 41 heures par semaine" ; qu'en conséquence, Monsieur X... a accepté les modifications de son contrat de travail et a exécuté son contrat de bonne foi" ;

4°) ALORS en toute hypothèse QU'aucune modification de ses conditions de travail ne peut être imposée à un salarié protégé ; que l'acceptation, par un tel salarié, d'une modification du contrat de travail ou d'un changement dans ses conditions de travail ne peut résulter, ni de l'absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l'intéressé de son travail ; qu'en déboutant Monsieur X... de ses demandes, motif pris de ce qu'il ne démontrait pas avoir refusé les modifications dénoncées auxquelles il se serait "plié sans protestation ni réserve", la Cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;

5°) ALORS enfin QU'en déduisant d'un avenant daté du 1er juillet 1998 par lequel Monsieur X... reconnaissait que ses appointements mensuels de base étaient inchangés et servis pour un horaire de 41 heures hebdomadaires l'acceptation, par ce salarié protégé, de modifications de son contrat de travail résultant de sa mutation, cinq ans auparavant, au sein d'une filiale et de la suppression de sa rémunération variable, la Cour d'appel, qui a étendu la portée de cet avenant au-delà de son objet, a violé l'article 1134 du Code civil.



SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur X..., salarié protégé, de sa demande tendant à la condamnation de son employeur au paiement d'une somme de 130 000 à titre de dommages et intérêts pour discrimination ;

AUX MOTIFS QU' "aux termes de l'article L.122-45 du Code du travail, en cas de litige relatif à la discrimination, le salarié concerné présente les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, tandis qu'il appartient à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ;

QU'il ressort des développements qui précèdent que l'appelant ne fournit aucun élément de nature à rendre vraisemblable la discrimination dont il se plaint ;

QU' au surplus, l'employeur apporte à titre d'éléments de comparaison l'évolution de la rémunération de deux autres salariés, ingénieurs SAV ayant travaillé à peu près au cours de la même période que Monsieur X... ;
qu'il en ressort qu'ils ont terminé leur carrière avec une rémunération inférieure à lui, même s'ils ont bénéficié certaines années d'un pourcentage d'augmentation supérieur ; que le ralentissement dans l'évolution des rémunérations de Monsieur X... s'explique par la situation économique qui a conduit cette entreprise à un licenciement collectif en septembre 1992 ; qu'il s'ensuit que le jugement entrepris sera confirmé sur la demande d'expertise ou de dommages et intérêts" (arrêt p.3 alinéas 6 à 9) ;

1°) ALORS QUE l'existence d'une discrimination consécutive à l'accession du salarié à des fonctions représentatives s'apprécie à compter de cette accession ; qu'en l'espèce, Monsieur X... faisait valoir, à partir de l'analyse des bulletins de salaire des deux ingénieurs S.A.V auxquels l'employeur prétendait le comparer, que l'évolution de leurs rémunérations de base respectives à compter de 1992, date de son accession à des fonctions représentatives, avait été discriminatoire, Monsieur Z... bénéficiant d'une augmentation totale de 32,13 % - soit 3,21 % par an en moyenne - et Monsieur A... de 20,81 % - soit 2,08 % par an - tandis que lui-même bénéficiait d'une évolution de 10,32 % en dix ans, soit 1,08 % ; qu'en excluant la discrimination invoquée au motif inopérant que ces salariés avaient "terminé leur carrière avec une rémunération inférieure" à celle de Monsieur X..., la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L.140-1 et L.412-2 du Code du travail ;

2°) ALORS QUE dans la recherche d'une discrimination salariale, la comparaison ne peut avoir lieu qu'entre salariés placés dans une situation identique ; qu'en l'espèce, Monsieur X... avait fait valoir que, bien qu'ayant fini sa carrière en position d'ingénieur S.A.V, il avait atteint avant son accession à des fonctions représentatives, puis occupé successivement au sein des sociétés du groupe des fonctions de directeur S.A.V. Export, puis de directeur marketing, avec une qualification de cadre niveau III-A que n'avaient jamais atteinte les salariés auxquels l'employeur prétendait le comparer, qui étaient demeurés au niveau II-A jusqu'à la fin de leur carrière ; qu'enfin son salaire de base rémunérait forfaitairement un horaire hebdomadaire de 41 heures ; qu'en le déboutant cependant de ses demandes sur l'unique constatation de ce que ces deux collègues auraient terminé leur carrière avec une rémunération globalement inférieure à la sienne, la Cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Y..., anciennement Y... France.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Société Y... à payer à Monsieur X... la somme de 2.944,90 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2006 outre 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

AUX MOTIFS QUE le salarié peut prétendre à une indemnité de congés payés pour des congés payés non pris s'il a été empêché de les prendre par la faute de son employeur ; qu'en l'espèce la Société Y... ne démontre pas le refus du salarié de prendre ses congés payés pendant la période conventionnellement fixée pour la prise des congés payés annuels ; que Monsieur X... a droit à une indemnité de congés payés pour congés payés non pris entre le 1er juin 2003 et le 31 mais 2004, période pendant laquelle il a travaillé et perçu son salaire.

ALORS QUE c'est au salarié qu'il incombe de prouver que c'est par la volonté de son employeur qu'il n'a pu prendre ses congés payés pendant la période légale ou conventionnelle ; qu'en mettant à la charge de l'employeur l'obligation de démontrer que c'est le salarié qui n'avais pas voulu prendre ses congés annuels pendant la période légale ou conventionnelle, la Cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil, L 223-7 du Code du travail et 10 de la convention collective de la métallurgie