Jurisprudence
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 juin 2011, 10-12.116, Inédit
N° de pourvoi 10-12116

Mme Collomp (président)
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé le 3 octobre 1990 par la société Oxbow en qualité de responsable du service graphisme, occupait depuis juillet 2007 un poste aménagé en télétravail ; qu'il a été licencié pour faute grave le 27 décembre 2007 ;

Attendu que pour dire le licenciement de M. X... fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes indemnitaires, l'arrêt retient qu'il a menacé une salariée de l'entreprise ainsi que son conjoint ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme il était soutenu, si le comportement du salarié n'était pas lié à son état de santé du fait de l'isolement professionnel dans lequel l'avait volontairement placé la société depuis plusieurs mois, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société Oxbow aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne également à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille onze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X...

Le moyen reproche à la Cour d'appel d'avoir jugé fondé le licenciement de Monsieur X... prononcé pour faute grave et de l'avoir, en conséquence, débouté de toutes ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la société OXBOW démontre que la dégradation des relations de travail entre Monsieur X... et certains des collaborateurs de la société l'a conduite à trouver une solution, dont celle du télétravail, solution à laquelle a parfaitement adhéré le salarié lequel signait librement l'avenant mettant en place ce système à compter de juillet 2007 ; que l'acharnement de Monsieur X... à démontrer qu'il n'était pas relié à Internet et que, dans ces conditions, il ne pouvait lui être reproché de n'avoir pas assisté à plusieurs réunions, est sans effet sur le débat puisque ce grief n'est pas retenu comme motif du licenciement entrepris ; qu'en réalité le véritable motif du licenciement réside dans les menaces proférées par Monsieur X... à l'égard de Madame Y... ; que contrairement à ce qu'affirme le salarié devant la cour, celui-ci n'a pas contesté formellement les faits devant les premiers juges ; que tout au plus a-t-il tenté de les minimiser en expliquant que ceux-ci s'inscrivaient dans le contexte précédemment décrit de part et d'autre et a proposé « le doute » pour faire juger les griefs retenus comme non établis ; que devant la Cour d'appel Monsieur X... expose que ces menaces n'auraient jamais eu lieu et que dans la mesure où la société OXBOW ne pouvait rapporter la preuve formelle de l'appel téléphonique, les faits ne seraient pas constitués ; qu'en réalité, cette solution ne pourrait être éventuellement retenue par la cour si cette dernière avait un quelconque doute sur la matérialité des faits ; qu'eu égard au contexte décrit, aux avatars que la relation contractuelle avait connu depuis de nombreux mois, aux témoignages en ce sens de plusieurs salariés, en ce compris les témoins cités par Monsieur X..., il apparaît que le comportement de Monsieur X... s'était tellement dégradé que seule la solution de télétravail permettait à la société de conserver un salarié dont elle appréciait manifestement les qualités mais dont elle se devait de l'empêcher d'exercer sur d'autres salariés de l'entreprise des attitudes pour le moins inadaptées ; que c'est pourquoi la cour considère que le courrier rédigé par Madame Y..., en date du 10 décembre 2007 et qui relate par écrit les menaces et insultes dont elle comme son époux ont été les victimes directes est de nature à établir la matérialité des faits ; qu'en effet, devant cette pièce, le salarié ne saurait se contenter d'invoquer l'argument pour le moins fallacieux du « pas vu pas pris » pour la contester ; qu'aucun élément dans le dossier ne permet de démontrer que Madame Y... aurait inventé ou même eu un quelconque intérêt personnel à agir de la sorte pour donner argument à son employeur de licencier son salarié pour un faux grief ; qu'en revanche, il ressort clairement du dossier que si Monsieur X... avait effectivement été un professionnel dont les qualités n'avaient, pendant longtemps jamais été remise en cause, la fusion avec le groupe LAFUMA et l'arrivée de nouveaux personnels ont été manifestement ressenties comme une menace pour le salarié ; qu'à cet égard la cour relève que le comportement de Monsieur X... s'est dégradé et que le grief retenu dans la lettre de licenciement est en parfaite adéquation avec ce changement de comportement lequel avait été signalé à l'employeur par plusieurs salariés de l'entreprise et dont certains s'étaient plaints au point de demander à la direction d'intervenir pour faire cesser les agissements de Monsieur X... ; que les seules dénégations du salarié sur la réalité des menaces proférées à l'encontre de Monsieur et Madame Y... ne sauraient suffire à les écarter et la cour, à l'instar des premiers juges confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement de Monsieur X... comme fondé sur une cause réelle et sérieuse ; que la Cour d'appel confirmera de la même manière la décision des premiers juges en ce qu'ils ont considéré ces faits comme constitutifs d'une faute grave dès lors que des menaces d'atteinte aux personnes et des insultes d'un salarié sur un collaborateur, un autre salarié de l'entreprise ou un supérieur hiérarchique sont autant de comportements inadmissibles qui rendent d'évidence le maintien du salarié impossible au sein de l'entreprise, la victime des menaces ayant elle-même fait connaître à son employeur le climat de peur et d'insécurité dans lequel elle était depuis les faits ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE la société OXBOW apporte des éléments au soutien des faits de faute grave reprochés à Monsieur X... et qui sont précisément qui ont été visés dans la lettre de licenciement ; que l'employeur sur qui pèse une obligation de résultat en matière de santé et sécurité des salariés dans le contexte de travail, doit prendre toute mesure qui s'impose en matière de prévention ; qu'en l'espèce la preuve est rapportée par la société OXBOW que les faits reprochés par cette société dans la lettre de licenciement sont avérés et que Monsieur X... a bien menacé de mort, par l'intermédiaire de son époux, sa collègue, Madame Y... ; qu'à cet égard le conseil ne manque pas de relever que Monsieur X... qui ne conteste pas les faits, tente de les diminuer en rappelant qu'il n'a pas eu directement sa collègue, Madame Y..., au téléphone et que la preuve ne peut être rapportée que par la personne qui peut être le témoin et que le doute doit profiter au salarié ; qu'en argumentant de cette manière, Monsieur X... ne conteste donc pas les faits et le conseil n'a aucun doute sur le fait que de graves menaces ont été ainsi réellement proférées à l'encontre de Madame Y..., cette dernière ayant relaté les faits dans un courrier qu'elle a adressé à la direction de la société OXBOW le 10 décembre 2007 ; qu'il s'agit assurément là d'une faute grave et inexcusable, imputable personnellement à Monsieur X... peu importe que ces menaces de mort aient été proférées en dehors du temps de travail et au domicile de l'intéressée dès lors que ces menaces ont été proférées à l'encontre d'un autre salarié de la société OXBOW ; que cette faute revêt un caractère de gravité d'autant plus important que les conditions d'exercice du contrat de travail de Monsieur X... avaient dû précisément être aménagées, avec son accord, pour qu'il ne soit pas trop en contact avec ses collègues de travail, compte tenu du comportement inadmissible de celui-ci ; qu'en effet, au fil des années, l'attitude et le comportement de Monsieur X... se sont dégradés ; qu'ainsi le courriel de Monsieur Z..., en date du 13 juin 2006, illustre bien la problématique à laquelle la société OXBOX était confrontée : « (…) Nous avons eu des altercations avec Loïc à plusieurs reprises, et cela devient impossible à gérer. Il nous ignore et cela finit par démotiver mon équipe … » ; que le courriel de Monsieur Z... du 5 décembre 2006 est également illustratif de la dégradation des relations avec Monsieur X... : « Je sors d'une réunion très mouvementée dans le bureau de C. Y..., où je me fait de nouveau intimidé, insulté et menacé (sic) physiquement par Jean-Loïc X... (…) Je vous laisse libre arbitre dans la transmission de ce énième incident auprès de notre direction groupe » ; que lors d'un entretien du 6 mars 2007, il était de nouveau constaté les graves difficultés de management de Monsieur X... et les conséquences sur les impératifs de création par rapport au planning ; qu'ainsi il a été constaté que « l'organisation du pôle graphiste n'a pas été mise en place. Il y a eu implosion de l'équipe graphiste : le relationnel dans le groupe est à un point de non retour. Prise de conscience de Jean-Loïc de sa non qualité de manager, et aspiration à pouvoir travailler autrement » ; que c'est pour préserver l'emploi de Monsieur X... que la société OXBOW mettait en place une solution de télétravail ; qu'un membre du comité d'entreprise Monsieur B... atteste de la manière suivante : « Le cas de Monsieur X... a été abordé au cours de plusieurs réunions du comité d'entreprise …. Il a été évoqué le télétravail de ce salarié dans le cadre d'une altercation survenue avec un de ses collaborateurs. La direction a mis en place le télétravail dans ce cadre strict, sans pour autant le proposer à l'ensemble des salariés, afin de préserver l'emploi et la tranquillité de Monsieur X... » ; que la réalité du climat menaçant alimenté par Monsieur X... dans les relations de travail est démontrée par une collègue de celui-ci qui alerte la direction de la société OXBOW en ces termes : « Comme la réunion graphisme de lundi soir le prouve, une fois de plus, je ne trouve pas que Jean-Loïc soit en ce moment d'une grande fiabilité, ni en terme de timing, ni en terme de santé mentale étant donné qu'il continue de menacer de faire ce qu'il veut et éventuellement de se remettre en arrêt maladie, voire de s'ouvrir les veines. (…) on parle maintenant d'un climat d'insécurité dans lequel se retrouve mon équipe en pleine période de création » ;

ALORS D'UNE PART QUE la faute grave est celle qui, par son importance rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que les juges du fond se doivent d'apprécier le degré de gravité du manquement reproché au salarié en tenant compte de son ancienneté et du contexte dans lequel les faits se sont produits ; que dès lors, en ne recherchant pas si l'ancienneté de Monsieur X..., salarié de la société OXBOW depuis plus de dix sept ans au moment de son licenciement et dont elle reconnaissait qu'il en était la « mémoire vivante », n'était pas de nature à rendre possible le maintien du contrat de travail, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles L 1234-1, L 1234-5 et L 1234-9 du Code du travail ;

ALORS encore QUE en ne se prononçant pas sur l'état d'isolement et les brimades dont Monsieur X... était l'objet, et sur les griefs infondés qui lui étaient faits de ne pas se rendre aux réunions, au motif que tel n'était pas le motif du licenciement, contexte de nature à exclure la faute grave, la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard desdites dispositions

ALORS D'AUTRE PART QUE la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que la Cour d'appel ne pouvait retenir que les menaces et insultes adressées par Monsieur X... à Madame Y... et à son époux étaient constitutives d'une faute grave sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si, ce comportement ne pouvait être excusé par le fait qu'à la date où ces paroles ont été prononcée, ce salarié se trouvait pas en proie à une grave dépression nerveuse, confirmée par son psychiatre qui, moins de quarante huit heures après les faits avait jugé impératif de le mettre immédiatement en arrêt maladie ; qu'en statuant comme elle l'a fait la Cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles L 1234-1, L 1234-5 et L 1234-9 du Code du travail.