Jurisprudence administrative
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 14/02/2018, 410302, Inédit au recueil Lebon
Rapporteur : M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville
Avocats : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER
Commissaire : M. Benoît Bohnert

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Nord Provence Finances a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations de taxe sur les salaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2010. Par un jugement n° 1203582 du 5 février 2015, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15DA00594 du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la société Nord Provence Finances, annulé ce jugement et prononcé la décharge des cotisations en litige.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mai et 19 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt ;

2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Nord Provence Finances.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Nord Provence Finances est une société holding qui s'immisce dans la gestion de ses filiales en leur rendant des prestations de services. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, l'administration fiscale, constatant que cette société n'avait pas été assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée sur au moins 90 % de son chiffre d'affaires au titre des années civiles précédant les années composant la période contrôlée, l'a assujettie à la taxe sur les salaires au titre de cette période. Après le rejet de la réclamation qu'elle avait formée contre les impositions ainsi mises à sa charge, la société a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande en décharge, que celui-ci a rejetée par un jugement du 5 février 2015. Le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 février 2017 de la cour administrative d'appel de Douai, en tant qu'il a, sur appel de la société, annulé ce jugement et prononcé la décharge de l'intégralité de la taxe sur les salaires en litige.

2. Aux termes du 1 de l'article 231 du code général des impôts : " Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires (...) à la charge des personnes ou organismes (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 p. 100 au moins de son montant, ainsi que le chiffre d'affaires total mentionné au dénominateur du rapport s'entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné au numérateur du rapport s'entend du total des recettes et autres produits qui n'ont pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, dont la rédaction est issue du I de l'article 18 de la loi du 30 décembre 1993 de finances rectificative pour 1993, lesquelles ont eu pour objet de dissocier le rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires du rapport, dit " prorata " de taxe sur la valeur ajoutée, alors prévu à l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts, que l'assiette de la taxe sur les salaires due par les assujettis partiels à la taxe sur la valeur ajoutée s'obtient en appliquant au montant total des rémunérations, le rapport existant entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. Ce rapport est déterminé en faisant figurer, au numérateur, le chiffre d'affaires qui n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, constitué des recettes correspondant à des opérations exonérées ou situées hors du champ d'application de cette taxe, et, au dénominateur, la totalité des recettes, c'est-à-dire celles correspondant à des opérations imposables ou exonérées ou situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

4. Si la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt du 16 juillet 2015 Larentia + Minerva (C-108/14), que la taxe sur la valeur ajoutée grevant des biens et services dont les coûts font partie des frais généraux d'une société holding qui, s'immisçant dans la gestion de ses filiales, exerce, à ce titre, une activité économique doit, en principe, être déduite intégralement, il ressort d'une jurisprudence constante de cette même Cour que n'étant pas la contrepartie d'une activité économique, la perception de dividendes n'entre pas, elle-même, dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, même dans l'hypothèse où la société holding qui perçoit les dividendes s'immisce dans la gestion de ses filiales en leur fournissant des prestations de services soumises à cette taxe. Il suit de là que les dividendes doivent, pour l'application des dispositions de l'article 231 précité du code général des impôts, être compris au numérateur du rapport prévu à cet article.

5. En jugeant que les dividendes perçus par la société requérante ne devaient pas figurer au numérateur de ce rapport au motif que, constituant la contrepartie d'une activité économique, ils constituaient des produits qui avaient ouvert droit à déduction, au sens et pour l'application de ces dispositions, la cour a par suite commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt qu'il attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 28 février 2017 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans la mesure de la cassation prononcée ci-dessus.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Nord Provence Finances au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Nord Provence Finances.