

Critique et prospective
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En France, moins de 10 % des actifs des sociétés non financières et moins de
25 % des actifs des banques et compagnies d’assurances (hors portefeuille de
trading et dérivés) sont évalués à la juste valeur. Nous sommes donc très loin
de la full fair value !
b) Critiques de l’utilisation de la juste valeur
Les critiques suivantes sont formulées :
•
Le principe même de son utilisation est néfaste :
évaluer à la juste valeur des
actifs que l’entité n’a pas l’intention ou la possibilité de céder consiste à com-
muniquer une valeur purement théorique qui risque de perturber les dirigeants
et les investisseurs. Savoir que le prix du terrain agricole a augmenté de 25 %
cette année ne sert à rien si celui-ci n’est pas cessible car indispensable à l’ac-
tivité, ou pire, est préjudiciable au lecteur des états financiers, si la vente de
ce terrain (pour réaliser la plus-value) conduit à diminuer fortement la valeur
globale de la ferme.
Selon une étude réalisée par le groupe ERNST & YOUNG sur les états finan-
ciers 2005, plus de 90 % des entités n’ont pas modifié la méthode d’évaluation
de leurs immobilisations corporelles (nécessaires à leur activité) lors du pas-
sage aux IFRS. Par ailleurs, il peut être intéressant dans certaines situations
de connaître la valeur actuelle d’un bien pour faire des arbitrages (exemple :
déménager le siège social ou les locaux de fabrication, dont le prix est élevé
dans des bâtiments moins chers qui fourniront le même usage ; ainsi, la rentabi-
lité de l’investisseur s’améliorera).
Pour les biens non utilisés dans le cadre de l’exploitation, comme les immeu-
bles de placement, connaître leur valeur actuelle est un outil de pilotage indis-
pensable.
•
Son évaluation n’est pas toujours fiable :
lorsque la juste valeur est déterminée
par des projections actualisées de flux de trésorerie ou des modèles d’évalua-
tion des options, il peut être légitime de s’interroger sur la fiabilité du modèle
et des hypothèses retenus. Ce point concerne essentiellement l’évaluation des
instruments financiers et des paiements fondés sur des actions pour les tran-
sactions menées avec des membres du personnel (stock-options).
•
Le recours à la juste valeur conduit à avoir une vision (et un comportement) à court
terme (donc spéculatif) au détriment d’une vision stratégique à long terme :
Le lecteur des comptes est informé sur les plus ou moins-values latentes à cha-
que publication des états financiers. Les dirigeants de l’entreprise peuvent donc
être conduits à gérer l’entité de telle sorte que les résultats et/ou les capitaux
propres figurant au bilan progressent entre chaque publication pour satisfaire
l’investisseur, et ainsi à privilégier une gestion à court terme.