4 - Transmettre son entreprise
La société holding se révèle une précieuse alliée pour le dirigeant préparant sa succession
En toute compatibilité avec les avantages fiscaux liés à la conclusion d’un pacte « Dutreil », elle offre en effet la possibilité de transmettre l’entreprise à l’un des enfants tout en sauvegardant les intérêts patrimoniaux de ses frères et sœurs
Quelles problématiques ?
Le dirigeant ayant plusieurs enfants et souhaitant transmettre son entreprise à l’un d’entre eux se trouvera inévitablement confronté à deux grandes problématiques.
Première problématique : comment permettre à l’enfant repreneur de désintéresser ses cohéritiers ?
Si, comme souvent, l’entreprise tient une place prépondérante dans le patrimoine du dirigeant, une solution devra être trouvée pour faire en sorte que chacun des cohéritiers soit rempli de ses droits.
Par le biais d’une donation ou d’un legs testamentaire, des parents peuvent favoriser certains de leurs enfants par rapport à leurs frères et sœurs. Pour autant, ces derniers ne peuvent être privés d’une part du patrimoine de leurs parents, la fameuse réserve. Répartie égalitairement entre les enfants, celle-ci se monte globalement à deux tiers de la succession s’il y a deux enfants et à trois quarts de la succession s’il y a trois enfants ou plus. Ainsi, selon le cas, les parents ne peuvent disposer librement que d’un tiers ou d’un quart de leur patrimoine (quotité disponible).
La voie unique consistera dans le versement d’une compensation financière aux cohéritiers non-repreneurs. Mais comment procéder si le repreneur ne dispose pas personnellement des liquidités suffisantes ?
Seconde problématique : comment limiter l’impact de la fiscalité successorale ?
Avec des taux atteignant jusqu’à 45 % (fraction de chaque part nette taxable excédant 1 805 677 euros), la fiscalité successorale en ligne directe fait peser un risque évident sur la pérennité de l’entreprise. Comment y parer ?
Accessoirement, à l’occasion d’une transmission de son entreprise à sa descendance, le dirigeant peut avoir le désir de réaliser une partie de son patrimoine professionnel afin de se constituer un complément de retraite. Comment concilier cet objectif avec les précédents ?
La formule propre à répondre à ces différentes problématiques est connue sous le nom de family buy out (FBO). Inspirée de la technique du LBO étudiée plus haut, elle consiste schématiquement à procéder, dans un premier temps, à une donation-partage avec soulte des titres de l’entreprise puis, dans un second temps, à faire apport de ces titres grevés d’une soulte à une holding de reprise.
Les techniques mises en œuvre
Le montage intégrant le recours à la société holding comprend cinq étapes. Cinq étapes auxquelles s’ajoute une sixième si le chef d’entreprise souhaite également, à l’occasion de cette opération, monétiser une partie de ses titres.
Acte 1 : Conclusion d’un pacte Dutreil
Le régime Dutreil consiste en l’application d’un abattement de 75 % sur la valeur des entreprises individuelles ou parts de sociétés transmises par donation ou succession. À cet avantage s’ajoute une réduction de 50 % sur le montant des droits normalement dus sur une donation dans le cas où elle est effectuée en pleine propriété et avant l’âge de 70 ans.
Ces avantages sont conditionnés à deux engagements de conservation des titres, pris l’un antérieurement à la donation par le donateur, l’autre au moment de la donation par le bénéficiaire de celle-ci :
- L’engagement de conservation du donateur, qui doit porter sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote attachés aux titres émis par la société, est d’une durée minimale de deux ans.
Jusqu’à une époque récente, l’engagement de conservation antérieur à la donation devait être souscrit par le donateur avec le concours d’un ou plusieurs autres associés (engagement collectif). Depuis le 1er janvier 2019, il peut être souscrit par le donateur seul (engagement unilatéral) dès lors qu’il détient personnellement le quota de droits financiers et de droits de vote mentionné plus haut. En outre, la conclusion d’un tel engagement a cessé d’être nécessaire dans le cas où le donateur détient seul, depuis au moins deux ans, ce quota de droits financiers et de droits de vote (engagements de conservation « réputés acquis »).
- L’engagement du bénéficiaire de la donation des titres est, lui, d’une durée de quatre ans. Ce délai court à compter de l’expiration de l’engagement souscrit par le donateur. Ainsi, par exemple, en cas de donation en 2025 de titres pour lesquels l’engagement de conservation du donateur a été conclu le 1er juillet 2024 et expire donc le 1er juillet 2026, le bénéficiaire de la donation devra conserver ses titres jusqu’au 1er juillet 2030 sous peine de remise en cause de l’exonération partielle de droits de donation dont il avait bénéficié.
Dans le cas où la donation des titres revêt la forme d’une donation-partage avec soulte (voir ci-après), seul l’attributaire des titres de l’entreprise doit prendre l’engagement de conservation.
En principe, le non-respect de l’un ou l’autre de ces deux délais résultant d’une cession des titres faisant l’objet de l’engagement de conservation entraîne la remise en cause de l’exonération partielle de droits de donation. Mais par exception, certaines conditions étant supposées remplies, cet avantage reste acquis au donataire dans le cas où le non-respect des engagements résulte de l’apport des titres concernés à une société holding.
Il importe de préciser à cet égard que, en application d’une disposition de la loi Pacte du 22 mai 2019, l’apport à la société holding peut désormais intervenir pendant la durée de l’engagement de conservation souscrit par le donateur. Autrement dit, les trois opérations - souscription de l’engagement de conservation par le donateur, donation des titres avec souscription de l’engagement de conservation par le donataire et, enfin, apport des titres concernés à la holding – peuvent se succéder dans des délais extrêmement rapprochés.
Acte 2 : Donation-partage de la totalité ou d’une partie des titres de la société
Cette donation-partage effectuée sous le régime Dutreil stipulera l’attribution des titres à l’un des donataires, à charge pour l’intéressé de verser une soulte à ses codonataires.
L’intérêt de cette formule tient en grande partie au fait que, en application d’une réponse ministérielle Vachet en date du 28 mars 2006 et reprise au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP-ENR-DMTG-10-20-40-10-§ 340), les droits de donation ne sont pas en ce cas liquidés directement sur les biens effectivement attribués à chaque donataire (des titres pour le futur repreneur de l’entreprise et des liquidités pour les autres), mais en fonction des droits théoriques de chaque donataire dans la masse donnée et à partager. Autrement dit, pour le calcul des droits, chacun des bénéficiaires de la donation-partage effectuée sous le régime Dutreil sera réputé recevoir une fraction égale de la valeur des titres et pourra donc bénéficier de l’abattement fiscal de 75 %.
Une donation-partage de titres d’une valeur de 4 000 000 euros est consentie à un enfant avec stipulation du versement d’une soulte de 2 000 000 euros à son codonataire. Cette opération est placée sous le régime Dutreil.
Montant des droits dus par chacun des enfants :
- Application de l’abattement Dutreil :
2 000 000 – (2 000 000 x 75 %) = 500 000 euros
- Application de l’abattement de 100 000 euros en ligne directe (sous réserve que cet abattement n’ait pas été utilisé à l’occasion d’une donation remontant à moins de quinze ans) : 500 000 – 100 000 = 400 000 euros
- Droits correspondants : 78 194 euros
Les droits normalement dus seront réduits de moitié, et donc ramenés à 39 097 euros, si la donation est effectuée en pleine propriété avant l’âge de 70 ans.
En l’absence d’application du dispositif Dutreil, les droits dus par chacun des donataires s’élèveraient à 617 394 euros.
Précisons que les droits pourront être pris en charge par le donateur en lieu et place des donataires sans que cette prise en charge soit considérée, au plan fiscal, comme un complément de donation. En revanche, dès lors que les titres donnés ont vocation à être apportés à une société holding (voir ci-après), le système de paiement différé et fractionné des droits prévu pour les transmissions de parts d’entreprises ne sera pas applicable. En effet, une cession d’un tiers des titres reçus au cours de la période de crédit de paiement entraîne l’exigibilité immédiate des droits en suspens.
Le caractère définitif propre à la donation-partage confère en outre à celle-ci un réel intérêt sur le plan civil. À la différence des biens transmis par donation simple, ceux transmis par donation-partage ne sont pas rapportables à la succession du donateur et ne font donc, à cette occasion, l’objet d’aucune réévaluation pour la détermination de la part revenant à chaque héritier.
Acte 3 : Apport des titres à une société holding
L’apport réalisé par le donateur des titres sera rémunéré par des parts ou actions de la société holding et par une prise en charge par celle-ci de la soulte incombant à l’intéressé. À hauteur du montant de la soulte, cet apport supportera les droits sur les mutations à titre onéreux de titres de sociétés :
-Pour les parts de SARL, 3 % de droits d’enregistrement sur une base diminuée d’un abattement égal, pour chaque part transmise, au rapport entre 23 000 euros et le nombre total de parts de la société ;
-Pour les actions de sociétés par actions simplifiée (SAS), 0,1 % de droits d’enregistrement.
Cette différence de traitement fiscal entre les apports à titre onéreux selon qu’ils portent sur des parts de SARL ou des actions de SAS conduit fréquemment les associés d’une SARL à transformer celle-ci en SAS préalablement à l’opération.
Cet apport intervenant dans le prolongement immédiat de la donation des titres, il ne fera en revanche ressortir aucune plus-value taxable.
Acte 4 : Conclusion d’un emprunt bancaire par la société holding
Le remboursement de cet emprunt contracté en vue de permettre le remboursement de leur soulte aux héritiers non-repreneurs s’effectuera au moyen des dividendes provenant de la société dont les titres ont été apportés à la société holding. Dès lors que cette dernière aura opté pour le régime des sociétés mères et filiales et ne sera donc soumise à l’impôt sur les sociétés que sur 5 % de leur montant (« quote-part de frais et charges »), ces dividendes pourront être affectés au remboursement de l’emprunt pour la quasi-totalité de leur montant.
Les intérêts de l’emprunt contracté par la société holding viendront en déduction de ses résultats dans les conditions prévues pour les charges financières supportées par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. L’imputation de ces intérêts étant de nature à lui faire constater un déficit structurel, la holding pourra avoir intérêt à mettre en place des prestations de services qui, rémunérées par la société dont les titres lui ont été apportés, lui permettront de résorber à due concurrence ce déficit fiscal.
Acte 5 : Paiement par la société holding de leur soulte aux héritiers non-repreneurs
Enfin, acte 6, dans le cas où il aura conservé une partie de ses titres, le dirigeant aura la possibilité de les céder à la société holding afin de disposer d’un capital pour sa retraite. Tout comme la soulte versée aux cohéritiers du repreneur, l’achat de ces titres sera financé par un prêt bancaire contracté par la holding et remboursé par celle-ci au moyen des dividendes remontés de sa filiale.
Précisons que les titres de la société holding pourront à leur tour faire l’objet d’une donation. Toutefois, cette transmission ne pourra, quant à elle, être placée sous le régime Dutreil que si la société holding en question a la qualité de holding animatrice.
Conclusion
La technique du family buy out (FBO) que nous venons de décrire permet de remédier avec efficacité aux difficultés liés à la pluralité d’héritiers. Cependant, elle ne constitue pas, loin de là, l’unique mode d’utilisation de la société holding dans le cadre d’opérations de transmissions familiales. Ainsi, au lieu d’intervenir postérieurement à une donation, la constitution de la société holding peut précéder celle-ci. En ce cas, dès lors que ladite société holding remplira les conditions pour se voir reconnaître la qualité de holding animatrice, la transmission des parts ou actions détenues par son fondateur pourra bénéficier intégralement des avantages fiscaux du régime des pactes « Dutreil ».