1. Philippe entend à la radio une chanson dont il ne connaît ni le titre ni l’interprète. Il lance l’application Shazam sur son smartphone afin d’en obtenir les références. À l’invitation de l’application, il clique sur « acheter le morceau » et, quelques instants plus tard, récupère le titre via l’application iTunes. Épaté par la simplicité et la fluidité de la démarche, il raconte l’expérience à ses enfants. Ces derniers le regardent médusés. Sa fille lui répond juste « bah oui », avec un air empreint de tendresse teintée d'une certaine inquiétude qu’elle a de le voir s’émouvoir face à un tel non-événement.

Nathalie rencontre les plus grandes difficultés pour connecter sa toute nouvelle enceinte à son ordinateur. Après s’être épuisée en pestant contre le mode d’emploi qui explique la démarche en 10 langues, mais dans un français très aléatoire, elle finit par interpeller son fils de 19 ans et lui expose son problème. Sans même chercher à lui venir en aide, ce dernier lui répond le plus naturellement du monde (lui aussi avec un petit air peiné, voire condescendant) : « Je ne sais pas moi, tu as posé la question à Google ? ».

2. Ces deux anecdotes tellement banales de la vie quotidienne sont symptomatiques de l’époque dans laquelle nous vivons. Elles nous apprennent plusieurs choses essentielles.

La première, c’est que le numérique se niche partout dans notre vie personnelle et, évidemment, professionnelle. Il n’est pas possible d’y échapper. Qu’on le veuille ou non, quels que soient nos actes, ils sont facilités, encouragés, mesurés, enregistrés par le numérique.

La deuxième, c’est que toutes les générations sont concernées par le phénomène de la révolution numérique, même si, naturellement, toutes les générations ne l’abordent pas de la même façon. Il y a, en effet, clairement une différence d’approche entre les générations qui ont connu l’avant et qui s’adaptent (avec plus ou moins de facilité) à ce nouvel environnement et la génération née dans cet environnement. Pour cette génération de « natives », tout ce qui se passe est juste « normal ».

La troisième, c’est que, grâce au numérique, tout devient plus simple, accessible, fluide et souvent gratuit. Rendons-nous compte que, grâce à un simple smartphone au fond d’une poche, où que nous soyons, à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit, nous avons accès à des dizaines de milliers de sites, de chansons, de films et d’applications en quelques clics. À tel point d’ailleurs que nous avons de plus en plus de mal à supporter ce qui est lent et compliqué. Il suffit qu’une application mette quelques secondes de trop ou qu’elle soit momentanément indisponible pour qu’on en change, en quelques secondes, sans la moindre hésitation. Et ça aussi, c’est « normal ».

Le numérique, s’il apporte de nombreuses solutions à des problèmes qui n’en étaient pas, apporte aussi son lot d’interrogations.

Comment imaginer, dans ces conditions, que les consommateurs numériques que nous sommes tous devenus puissent appréhender leur vie professionnelle différemment ? Chacun de nous attend que sa vie professionnelle soit aussi simple et fluide que sa vie personnelle. Nous n’avons pas deux vies cloisonnées et étanches. Pourquoi notre vie professionnelle devrait-elle être plus compliquée ? Pourquoi devrions-nous continuer à payer des tarifs élevés alors que les nouveaux moyens de production réduisent les délais et les coûts ?