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Parution: septembre 2018

Social

Où en sont quelques secteurs et entreprises emblématiques ?

62. Après avoir présenté les conséquences de la révolution numérique sur les entreprises et les réactions pour y faire face, nous allons à présent étudier quelques secteurs et entreprises clés pour comprendre, d’une part, où ils en sont de leur démarche de transformation et, d’autre part, comment ils ont géré (ou pas) cette situation.

Facebook est devenu une plateforme incontournable pour accéder aux contenus média, les magazines se lisent sur des applications, la jeune génération privilégie BlaBlaCar à la SNCF, les voyageurs s’affranchissent des hôtels pour voyager et louent des appartements via Airbnb et la musique se consomme via des plateformes de streaming. Côté administration, il est obligatoire, sauf dérogation, de déclarer ses revenus par Internet, l’inscription à Pôle emploi se fait en ligne… Ce que nous apprennent ces exemples ? C’est que tous les secteurs sont touchés par la révolution numérique.

Quels impacts sur quelques secteurs clés ?

63. Harris Interactive a demandé aux Français quels étaient les secteurs de l'économie les plus concernés par l'ubérisation. Le transport, l’hôtellerie et la distribution arrivent en premières positions, sans doute parce que les français ont pu constater par leur propre expérience que leurs habitudes de consommation et d’usage sur ces secteurs avaient radicalement changé (https://www.journaldunet.com/management/conjoncture/1184192-quels-sont-les-secteurs-les-plus-concernes-par-l-uberisation-selon-randstad/).

Quels sont les impacts du numérique observés dans quelques secteurs clés ? Nous vous proposons un tour d’horizon de grands secteurs qui ont un point commun : la technologie les a disruptés ou est en train de le faire.

L’objectif de ce panorama de quelques secteurs est d’analyser le comportement de ces secteurs pour comprendre, prendre du recul et en tirer des enseignements.

La distribution

64. La distribution est très impactée par la révolution numérique. L’irruption d’un acteur comme Amazon et la généralisation d’internet ont tout bouleversé.

Après une période d’observation, les initiatives se multiplient pour faire face à cette concurrence très rude des pures players. Les enseignes et les centres commerciaux réagissent et cherchent à réinventer leur modèle. Tout est fait par les enseignes traditionnelles pour enchanter l’expérience du client et le fidéliser.

Amazon et l’essor d’internet ont profondément modifié les attentes et les comportements des clients. L’e-commerce n’est plus une mode, c’est une réalité bien ancrée. Dans la plupart des secteurs de la distribution, les ventes en ligne représentent en effet 15 à 25 % du chiffre d’affaires du secteur.

Les ventes en ligne représentent en effet 15 à 25 % du chiffre d’affaires du secteur.

Le premier apport du numérique concerne les modalités d’achats. Toutes les combinaisons sont aujourd'hui possibles : commande en magasin ou en ligne, retrait en magasin ou en drive, livraison dans un point relais ou à domicile, y compris après 20 h…

Aux États-Unis, Amazon et Walmart proposent de livrer les clients à leur domicile, même en leur absence. En France, Franprix teste également ce service. Quand le livreur est devant la porte, le client lui ouvre la porte de son domicile à distance (Franprix a passé un accord avec un fabricant de serrures connectées) à partir d’un smartphone. Le livreur dépose alors les courses et range directement le frais au réfrigérateur. La question de l’accès au logement ayant été géré, cette enseigne envisage même de développer de nombreux autres services à domicile sans lien avec son métier d’origine, c'est-à-dire la distribution alimentaire.

Les enseignes rivalisent d’innovation pour proposer à leurs clients de choisir l’option qui leur convient le mieux. Elles leur offrent ainsi une grande liberté pour libérer les clients de la corvée des courses.

L’autre innovation du secteur liée au numérique porte sur la digitalisation du point de vente. Les clients ne veulent plus perdre leur temps aux caisses, arriver dans un magasin qui n’a pas le produit recherché en stock, courir après un vendeur… Parmi les innovations intervenues sur les points de vente, citons notamment les étiquettes connectées, les tickets de caisse envoyés par mail, les caisses sans caissières (« self scanning » ou « self check out », SCO), la vitrine en réalité augmentée ou encore les tablettes pour équiper les vendeurs.

Et demain ? Qui n’a jamais rêvé de rentrer dans un magasin, de prendre tous les produits qu’il voulait et de ressortir… sans payer ?! C’est aujourd'hui possible, certes à Seattle. Pour affranchir le client de toutes les contraintes liées à l’acte d’achat, Amazon Go a ouvert en 2018 un magasin (www.youtube.com/watch?v=NrmMk1Myrxc) sans caisse à la sortie, sans paiement par carte bleue ou téléphone. Il suffit juste de s’identifier en entrant grâce à l’application. Ensuite, tout est géré par des caméras et des capteurs sur les rayons. Ils repèrent les achats et les imputent dans le panier virtuel de chaque client.

On voit bien que le rythme des innovations s’accélère de plus en plus avec un seul objectif : redynamiser la distribution physique en améliorant (ou en rendant la moins pénible possible) l’expérience client pour répondre aux nouvelles attentes et exigences des clients.

Amazon et l’essor d’internet ont profondément modifié les attentes et les comportements des clients.

Quels enseignements tirer de cet exemple ?

65. Bien sûr la distribution est un secteur très éloigné de l’expertise comptable. Cependant, il nous apprend certaines choses :

• La prestation idéale n’est pas 100 % physique ou 100 % en ligne, c’est une combinaison des deux. On parle de stratégie « phygitale » (contraction entre les mots « physique » et « digital » qui renvoie à une stratégie marketing reposant à la fois sur les magasins et les avantages du numérique), c'est-à-dire un équilibre entre numérique et contact humain. Seul le client (en fait, chaque client) sait ce qu’il préfère et il peut évidemment changer d’avis avec le temps.

• Certaines tâches, comme celle des caissières, sont appelées à disparaître car des machines peuvent faire mieux et pour moins cher. Cette automatisation ne sera pas sans conséquence sur l’emploi dans la branche (on estime que ce métier emploie 170 000 personnes).

Ce dernier point est évidemment un aspect essentiel de la transformation numérique de la distribution, comme il le sera pour la profession comptable.

L’hôtellerie

66. Aujourd'hui, qui réserve un hôtel, un voyage, un séjour, sans passer par internet que ce soit pour obtenir des informations sur l’hôtel, voir des photos, trouver le meilleur prix ou encore prendre connaissance des avis de voyageurs ? L’hôtellerie est un secteur particulièrement intéressant à analyser car il a été touché par deux vagues numériques successives d’origines différentes.

Le secteur a, tout d’abord, été envahi par diverses plateformes : les agences en ligne (ou OTA pour Online Travel Agencies) et les comparateurs de prix qui ont capté une part croissante du trafic internet et des réservations. Le site le plus connu est booking.com, mais d’autres enseignes sont également très présentes : tripadvisor.fr, hotels.com, trivago.com…

Ces plateformes ne sont pas des ubérisateurs au sens propre du terme (ils ne proposent pas d’intervenants alternatifs), mais des connecteurs (voir étude « La profession va-t-elle se faire ubériser ? », Les Moulins, 2015) c'est-à-dire qu’elles travaillent avec les acteurs en place. En fait, elles s’intercalent entre le client qui cherche un établissement et l’établissement lui-même. Elles proposent des tarifs attractifs sans prendre le moindre risque dans la mesure où elles ne réservent pas à l’avance un quota de chambres, elles achètent au fur et à mesure des réservations.

En mettant à leur disposition une offre pléthorique et des informations très pratiques, ces plateformes ont modifié les comportements des voyageurs. Simplicité, fluidité et prix attractifs, tout est fait pour séduire le client.

Ces plateformes ont modifié les comportements des voyageurs. Simplicité, fluidité et prix attractifs, tout est fait pour séduire le client.

La véritable question que l’on est en droit de se poser sur ces plateformes est : sont-elles ennemies ou partenaires des hôtels ? Un peu des deux sans doute. Les plateformes leur envoient des clients mais leurs conditions, notamment, financières sont exorbitantes. Dès lors, les hôtels survivent, mais guère plus. En outre, ils n’ont pas accès aux informations sur les clients, leurs coordonnées, leurs habitudes, leurs attentes et ne peuvent donc exploiter les datas. En fait, les hôtels n’ont pas le choix. Ils sont pris en otage par ces plateformes qui leur imposent leurs conditions.

Ce secteur est également intéressant car il se compose d’une poignée de grands comptes internationaux et d’une multitude d’indépendants. Les gros acteurs ont plutôt des clients d’affaires alors que les petits hôtels indépendants sont plutôt fréquentés par des particuliers. Jusqu’à l’arrivée de ces plateformes, ces circuits n’avaient pas de liens. Ces plateformes ont capté le trafic internet, la relation clients et les marges de tous ces hôtels, indépendants et grandes structures. Bien sûr, les grandes structures ont mieux résisté grâce à leur notoriété et leurs sites internet, mais ont quand même souffert.

C’est pourquoi, face à l’énorme concurrence des plateformes, Accor (devenu, à cette occasion, Accorhotels) a pris la décision de référencer, dans ses propres sites internet, les hôtels indépendants (sous certaines conditions). Non seulement Accor promeut l’offre de ses concurrents, mais il prélève des commissions plus faibles et … leur donne accès aux datas sur leurs clients.

Les dirigeants d’Accor seraient-ils tombés sur la tête ? Évidemment non, leur stratégie est simple : faire obstacle à ces sites de comparaison de prix ou de vente de ligne. Or, pour y parvenir, il faut être en mesure de proposer une offre plus large que celle des seuls hôtels du groupe Accor. Il fallait absolument élargir l’offre pour capter un plus large public. Cet exemple de « coalition » entre concurrents pour contrer une plateforme est très rare et particulièrement intéressante.

Dans le même état d’esprit, signalons également le site www.librairiesindependantes.com qui ne fédère pas moins de 16 portails de libraires indépendants, soit plus de 700 librairies implantées sur l'ensemble du territoire pour tenter de contrer Amazon.

En proposant ce « service » à ses concurrents, Accor cherche également clairement à se déplacer sur la chaîne de valeur du secteur, il essaie de récupérer la relation clients qui vaut de l’or et qui a fait le succès des plateformes. 

La seconde attaque qui a frappé de plein fouet le secteur est celle réalisée par Airbnb, l’un des piliers des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber), les successeurs des GAFAM. Comme tout le monde le sait, Airbnb propose de louer des chambres ou des appartements entre particuliers. Depuis sa création, en août 2008, Airbnb a hébergé plus de 200 millions de voyageurs sans avoir la moindre chambre...

Cette plateforme de mise en contact (qui court-circuite les intermédiaires du marché, c'est-à-dire les hôteliers) entre des touristes à la recherche d’une chambre et des propriétaires qui ont des chambres disponibles a, une fois de plus, bouleversé les habitudes de consommation en la matière.

Cette concurrence inégale (les propriétaires privés n’ont pas à respecter les règles d’hygiène et de sécurité des hôtels, n’ont pas de charges, ne paient pas d’impôts commerciaux…) a pulvérisé la profession qui ne s’y attendait pas du tout. À tel point que, jusqu’à une époque récente, Accor n’avait même pas identifié Airbnb comme l’un de ses concurrents !

À noter

De même que la SNCF n’avait pas identifié BlaBlaCar comme l’un des siens.

Airbnb est un pur exemple de barbare totalement extérieur à la profession historique qui a :

• conçu une offre en partant de la feuille blanche et en mettant le client au cœur de sa stratégie ;

• dévalorisé la proposition de valeur des acteurs traditionnels ;

• banalisé les savoir-faire les acteurs historiques du marché ;

• et mis à mal leur modèle économique.

Quels enseignements tirer de cet exemple ?

67. Certes, l’hôtellerie n’est pas l’expertise comptable, mais des leçons intéressantes peuvent être tirées de cette expérience sectorielle.

En 10 ans, le secteur de l’hôtellerie a été doublement touché par différents acteurs du numérique tous étrangers au marché. Il a beaucoup souffert avant de réagir. L’exemple de l’hôtellerie nous montre que :

• les attaques sur un secteur peuvent prendre diverses formes et provenir simultanément de diverses origines ;

• les modèles traditionnels peuvent être fragilisés par des acteurs différents et à différents endroits de la chaîne de valeur ;

• les acteurs traditionnels peuvent et doivent réagir y compris en s’alliant entre concurrents pour faire face à un danger bien supérieur.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue le poids des données dans cet exemple. L’une des forces de ces barbares réside dans l’exploitation des données qu’ils collectent à chaque réservation et même à chaque connexion.

Les modèles traditionnels peuvent être fragilisés par des acteurs différents et à différents endroits de la chaîne de valeur.

La banque

68. Le paysage bancaire n’a pas encore vraiment été bouleversé en termes de parts de marché par la révolution digitale. Pour autant, on ne peut pas dire que rien n’a changé en 10 ans.

En effet, le numérique est un sujet omniprésent dans le monde bancaire, car il s’invite à plusieurs niveaux : le réseau des agences, les relations avec les clients, mais aussi le cœur de métier. Nous allons dresser un panorama des principaux impacts du numérique dans le monde bancaire.

Le numérique est un sujet omniprésent dans le monde bancaire, car il s’invite à plusieurs niveaux : le réseau des agences, les relations avec les clients, mais aussi le cœur de métier.

Aujourd'hui, la visite à la banque n’est plus d’une grande utilité, en dehors des opérations importantes d’emprunt ou dans les situations difficiles où une négociation s’avère indispensable. Toutes les banques proposent, en effet, des applications qui permettent de consulter son compte, de stocker ses relevés, de télécharger son RIB, de réaliser les principales opérations comme les virements ou les placements. Pas moins du quart des interactions entre les banques et leurs clients se font désormais via le mobile (www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/la-banque-du-futur-un-savant-melange-de-digital-et-d-humain-472674.html). C’est ainsi que la fréquentation des agences a considérablement diminué. La plupart des grands réseaux bancaires réduisent d’ailleurs leur parc pour faire face à cette désaffection.

Cette question a d’ailleurs été donnée comme exemple d’impact du numérique par Emmanuel Macron : « Vous êtes par exemple au guichet d’une banque. Dans les 5 à 10 ans qui viennent, il y aura, à cause de la transformation numérique et par la transformation numérique, un changement des usages. Vous allez de plus en plus utiliser votre téléphone, votre ordinateur, les réseaux sociaux pour faire les opérations qui fait qu’avant vous alliez au guichet et donc beaucoup d’emplois vont être détruits » (Emmanuel Macron, entretien télévisé, 15 octobre 2017).

Au-delà de l’impact sur les agences, le numérique a bien d’autres conséquences. Les banques cherchent à séduire et fidéliser et, pour y arriver, elles cherchent à innover. Elles y sont d’ailleurs clairement poussées par la concurrence brutale qui fait rage dans le secteur et notamment par les fameuses fintechs, ces start-up du monde financier qui font bouger les lignes. À titre d’exemple, l’une des dernières innovations en la matière s’appelle Lydia (https://lydia-app.com/fr/). Cette application propose tout simplement « une nouvelle expérience bancaire » : consultation de tous ses comptes, virements ponctuels ou récurrents, paiement mobile, Apple Pay ou QR code, cartes virtuelles dynamiques, mais aussi possibilité de bloquer ses cartes de paiement, carte universelle reliée à tous les comptes, payer par SMS ou e-mail, création de cagnottes en ligne sans frais … Toutes ces prestations sont disponibles, quelle que soit la ou les banques du client et pour un prix inférieur à celui d’une carte bleue.

Les banques sont également concurrencées par les « néo-banques », ces nouvelles banques qui n’existent qu’en ligne, les pure players de la finance. Ces banques sont créées par les grands réseaux bancaires ou par des enseignes de la grande distribution. Elles n’ont pas d’agence et ne peuvent donc pas recevoir leurs clients. Leurs tarifs sont, en revanche, plus intéressants.

Au-delà de la concurrence sur les moyens de communication et sur l’expérience client, les banques sont également fortement attaquées par de nouveaux acteurs sur leur cœur de métier : le prêt.

En effet, des plateformes proposent d’emprunter directement auprès de particuliers, c’est le crowdfunding ou financement participatif.

Le financement participatif propose aux particuliers de prêter leur argent pour financer des projets au lieu de le laisser dormir dans des livrets d’épargne classiques.

Face à ces prêteurs, des emprunteurs qui cherchent des financements et ne veulent pas (ou ne peuvent pas) se financer par les circuits bancaires traditionnels. Le rôle de la plateforme est de valider la qualité de l’emprunteur pour rassurer les prêteurs et d’assurer la mise en relation entre les parties. Un projet est souvent financé par plusieurs centaines voire plusieurs milliers de particuliers. Ce nouveau mode de financement, très innovant, est une illustration supplémentaire de la notion de multitude (small is powerfull). Le niveau de fonds collectés par le crowdfunding, même s’il reste modeste par rapport au circuit bancaire traditionnel, se développe à grand vitesse (plus de 300 M€ en 2017).

Ce nouveau mode de financement, très innovant, est une illustration supplémentaire de la notion de multitude (small is powerfull).

Pour faire face à cette concurrence protéiforme, les banques investissent massivement sur le numérique (et notamment dans l’intelligence artificielle) pour renforcer leur relation client. Ainsi, chez Orange Bank, l'IA confiée à IBM a pris la forme d’un chatbot ou robot conversationnel. Djingo, c’est son nom, peut répondre 24h/24 aux questions des clients, même personnalisées, et déclencher certaines actions, comme bloquer une carte bancaire. Une année a été nécessaire pour rendre le robot opérationnel. Aujourd'hui, il comprend 85 % des demandes, contre environ 70 % au début.

De même, le Crédit Mutuel a également recours à Watson, le fameux moteur d’intelligence artificielle développé par IBM (voir § 20), non pas pour répondre directement aux questions en ligne des clients, mais pour accompagner et aiguiller les conseillers clientèle afin de proposer aux clients une proposition de valeur augmentée.

En pratique

Même si les banques s’en défendent, l’arrivée de ces robots d’intelligence artificielle va forcément avoir un impact sur l’emploi du secteur. L’emploi dans le secteur baisse d’ailleurs de manière incessante pour la 7e année consécutive (source : Fédération Française des Banques).

Quels enseignements tirer de cet exemple ?

Le secteur bancaire, par ses caractéristiques, est assez proche de la profession comptable : métier de service centré sur le conseil aux clients et la confiance, bénéficiant d’un monopole d’exercice...

69. Après des décennies d’immobilisme, le monde bancaire est entré dans une période de fortes turbulences, liées à l’arrivée du numérique.

Or, que constate-t-on ?

Tout d’abord, le secteur est envahi par de nouveaux acteurs, fintechs ou néo-banques, qui, par le biais d’applis, proposent des services périphériques concurrentiels, mais aussi sur le cœur de métier historique des banques traditionnelles.

Une fois de plus, nous constatons que cette disruption du secteur est née d’acteurs "venus d’ailleurs".

Ensuite, les acteurs historiques ont été obligés de s’aligner. Ils ont notamment tous créé leur application pour smartphone pour répondre à la demande. Ce faisant, les banques ont confié de nombreuses tâches à des robots en tout genre, supprimant ainsi des milliers d’emplois. Certains analystes considèrent que l’écrémage social n’est pas fini et que le secteur bancaire sera la sidérurgie des prochaines années.

Enfin, l’enjeu des banques pour les prochaines années, comme c’est le cas pour de nombreux autres secteurs touchés par l’automatisation, est d’offrir à leurs clients le bon « équilibre bionique » c'est-à-dire le dosage idéal entre la nécessaire automatisation de certaines tâches et le maintien d’une relation humaine.

Cet enjeu est également au cœur de l’évolution des cabinets d’expertise comptable.

L’enjeu des banques pour les prochaines années, comme c’est le cas pour de nombreux autres secteurs touchés par l’automatisation, est d’offrir à leurs clients le bon « équilibre bionique ».

Et sur les professions réglementées ?

En poursuivant notre analyse des secteurs touchés par le numérique, nous nous rapprochons encore de la profession comptable en nous intéressant maintenant aux professions réglementées. Contrairement à ce que d’aucuns imaginent (ou espèrent !), les professions réglementées n’échappent pas à la révolution numérique, bien au contraire, elles en constituent une cible privilégiée.

Les professions réglementées n’échappent pas à la révolution numérique.

L’immobilier

70. S’il est clair que nous ne recherchons plus un appartement aujourd’hui comme il y a 25 ans, aucun acteur n’a encore vraiment disrupté le marché des agences. Attaquées de toute part, elles n’ont pas disparu. Cependant, un certain nombre de start-up se sont lancées comme défi de remplacer purement et simplement les agences dans les transactions immobilières par leurs plateformes. La bataille s’annonce rude car les professionnels réagissent.

Il y a 25 ans, quand on cherchait un bien à louer ou acheter, on faisait appel à une agence immobilière proche de la destination visée ou on achetait un journal d’annonces entre particuliers (De particulier à particulier, Paru vendu…) à l’ouverture du kiosque pour espérer être un des premiers à appeler. En outre, on était obligé, avant d’avoir vu le bien, de croire son interlocuteur sur parole : l’emplacement, la fréquentation du quartier, les écoles, les transports …

Désormais, l’acheteur a le choix entre louer un bien, l’acheter, le colouer… sans sortir de chez lui. Il n’a plus besoin d’agence. Leboncoin.fr, seloger.com, pap.fr, mais aussi Facebook… proposent des mises en relation entre particuliers. Ces sites captent aujourd’hui une bonne part du trafic internet.

Au-delà de ces plateformes de mise en relation, des sites de ventes immobilières voient le jour avec des pratiques nouvelles. Certains sites proposent, par exemple, des rémunérations au forfait fixe (comme proprioo.fr) ou à l’abonnement (comme homagency.com), qui rompent avec les traditionnelles commissions.

Face à cette concurrence féroce, les professionnels historiques ont bien compris que leur avenir était menacé. Ils ont réagi et se sont adaptés à cette nouvelle donne.

Les agences immobilières ont compris que leur seule issue était de faire du numérique leur allié dans cette bataille contre les plateformes.

Après de multiples attaques sur leur marché et après avoir vécu les phases habituelles de réaction face à l’invasion de barbares (voir § 54), les agences immobilières ont compris que leur seule issue était de faire du numérique leur allié dans cette bataille contre les plateformes.

C’est ainsi qu’aujourd'hui, la plupart des agences s’appuient sur des outils digitaux pour diffuser les offres sur internet, faire des campagnes d’emailing, acheter des mots clés, faire du retargeting publicitaire…

Précision

Le retargeting publicitaire consiste à proposer des publicités émanant d’un site déjà visité quand on est sur un autre site.

Elles utilisent aussi des robots pour rédiger des annonces plus percutantes, pour diffuser des informations sur le quartier de l’achat (population, écoles, commerces, transports…), pour proposer des visites des biens ou du home-staging grâce à des masques de réalité virtuelle.

Précision

Le home staging (ou valorisation immobilière) consiste à préparer un bien immobilier en le redécorant (« relookant ») rapidement et à moindre frais pour faciliter et optimiser sa vente.

Au-delà de l’introduction du numérique dans leur modèle, les agences ont également compris qu’il fallait adapter et même repenser leur offre pour tirer le meilleur parti de leur différence par rapport aux plateformes : la relation personnelle.

C’est ainsi qu’elles ont fait preuve d’imagination et d’audace pour dépoussiérer leur modèle historique. Les initiatives se multiplient pour attirer les clients, les accompagner, enchanter leur expérience. Certaines agences ont développé des services complémentaires à leur cœur de métier pour aller au bout de cette logique et mettre tous les atouts de leur côté pour que leurs clients achètent ou vendent le plus facilement possible. Des agences mettent un photographe à disposition pour valoriser le produit, d’autres proposent de rafraîchir, réaménager et redécorer les biens à peu de frais en suivant les principes du home staging, afin que les biens correspondent mieux aux attentes des acheteurs potentiels. D’autres agences s’installent dans un camion aménagé sur le principe des food-trucks pour aller à la rencontre de leurs clients, être plus flexibles et plus mobiles pour répondre à leurs besoins.

Certaines propositions sont même particulièrement novatrices comme les préventes proposées par certains réseaux pour évaluer l’intérêt du marché (sur le même principe que Kickstarter ; voir § 30) ou les ventes à l’essai (l’acheteur vient passer une soirée ou un week-end dans la maison pour la tester).

Les agences ont compris qu’il fallait adapter et même repenser leur offre pour tirer le meilleur parti de leur différence par rapport aux plateformes : la relation personnelle.

Que peut-on tirer comme enseignements de cet exemple ?

Leur réaction est multidimensionnelle, c’est bien là l’enjeu d’une transformation numérique.

71. La révolution numérique est douloureuse pour les agences immobilières. La profession a très peu évolué pendant des années, faute de véritable concurrence, et elle a toutes les caractéristiques d’une cible potentielle des acteurs du numérique (une mauvaise réputation, des clients assez souvent mécontents des prestations, des prix élevés et pas toujours très transparents…).

Il n’en fallait pas moins pour que ce secteur soit la proie de start-up attirées par les perspectives d’une disruption facile à mener et vite rentable.

Que nous apprend l’expérience de ce secteur ? Pour lutter contre ces barbares, les agences traditionnelles ont :

• intégré du numérique dans leur communication pour exister sur internet ;

• valorisé leur véritable utilité différenciante, à savoir le conseil et l’accompagnement ;

• développé des « offres augmentées » c'est-à-dire enrichies par le numérique.

Leur réaction est multidimensionnelle, c’est bien là l’enjeu d’une transformation numérique. Non seulement, les agences se battent sur le terrain des technologies, mais elles font un lourd travail pour repenser leur modèle, leur utilité, leur promesse client, la qualité de la relation… C’est une vraie transformation en profondeur. On est bien loin d’un changement d’outils informatiques.

Une fois de plus, les enjeux de ce secteur résident dans la recherche d’un équilibre homme/machine afin d’optimiser la complémentarité mais aussi dans l’analyse de la chaîne de valeur de l’activité : qu’attend vraiment le client d’un intermédiaire immobilier ?

Les professions de santé

72. La santé est également un secteur qui se transforme à grande vitesse, au bénéfice des patients. Nous avons choisi trois exemples qui mettent en lumière les impacts de la révolution numérique sur les professions médicales.

Les sites Doctolib.fr, rdvmedicaux.com ou encore mondocteur.fr optimisent la prise de rendez-vous en permettant de prendre rendez-vous à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Plus besoin d’attendre que le médecin soit là et de le déranger pendant ses consultations.

Certaines plateformes proposent aussi de mettre en relation patients et médecins. Docadom.fr est le premier acteur numérique proposant des consultations à domicile. Le site, grâce à la double géolocalisation des patients et des médecins, optimise la mise en relation.

Tous ces services ont un objectif en commun : faciliter la vie des médecins et des patients.

La médecine est, par ailleurs, un des axes privilégiés pour le développement de l’intelligence artificielle. IBM a ouvert le bal en 2012. Son super ordinateur Watson a été installé au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, où les cancérologues lui ont appris à soigner les tumeurs du poumon.

Rappel

Rappelons que l’intelligence artificielle repose sur un apprentissage et un entraînement préalables pour « apprendre ». Cet apprentissage est supervisé par des spécialistes qui « forment » le moteur d’intelligence artificielle. Il a ingéré des millions d'articles scientifiques et des milliers de cas de patients. En comparant les symptômes des nouveaux malades à ces informations, il est en mesure de proposer aux médecins des pistes de traitement.

Bien sûr, ce n'est qu'un début. Pour l'instant, Watson fonctionne sur un nombre limité de pathologies, mais cela révolutionne tout simplement le diagnostic médical.

Un autre exemple que nous avons déjà cité (voir § 20). En Chine, un robot a largement réussi le concours de médecine. Ce robot n’exercera pas en tant que tel, mais il assistera les médecins.

Un des responsables du programme Watson nous expliquait lors d’une réunion qu’à l’heure actuelle, le plus gros frein pour développer l’assistance médicale par l’IA n’était pas technologique, mais éthique. C’est, en effet, le secret médical qui empêche toute diffusion d’information et donc tout apprentissage à grande échelle par les ordinateurs.

Encore limitée en France, la télémédecine devrait se développer rapidement, d'autant plus qu'elle est remboursée par la sécurité sociale depuis le 15 septembre 2018. La télémédecine est une pratique médicale distante qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs professionnels de santé. Cette technique permet, notamment, d’établir un diagnostic, d’assurer un suivi, d’obtenir l’avis d’un spécialiste éloigné, de prescrire des produits ou des actes, de réaliser des prestations ou des actes…

Ses objectifs sont nombreux et ambitieux : améliorer l’accès aux soins (surtout dans les déserts médicaux), améliorer la qualité de prise en charge, améliorer la qualité de vie… La télémédecine fait, notamment, son entrée dans certaines grandes entreprises qui mettent à disposition de leurs salariés un service de téléconsultation médicale. Les patients, assis dans une cabine de télémédecine, réalisent des consultations médicales en vidéoconférence avec des médecins généralistes habilités.

Au-delà de la télémédecine « classique », apparaissent des offres innovantes. Par exemple, qare.fr est une plateforme de télémédecine qui propose aux entreprises d’offrir à leurs salariés un service de télémédecine sur mesure. L’offre est très riche puisque Qare propose des services tels que des consultations médicales vidéo 7 jours sur 7, la délivrance d’ordonnances, la livraison des médicaments à domicile, un programme d’accompagnement santé… et ce, dans plus de 20 spécialités différentes. Ces offres de « full service médical » vont évidemment se développer rapidement car elles rendent de nombreux services.

Que peut-on tirer comme leçons de cet exemple ?

Loin d’être remplacée ou concurrencée, la médecine est, au contraire, accompagnée de toute part par le numérique.

73. La médecine est la profession réglementée par excellence dont on imagine mal qu’elle soit remplacée par des robots en tous genres.

En fait, loin d’être remplacée ou concurrencée, la médecine est, au contraire, accompagnée de toute part par le numérique. Tout d’abord, le numérique facilite l’organisation de l’activité pour réduire les pertes de temps (prise de rendez-vous, relances, confirmations …) et travailler plus sereinement. Cela n’a l’air de rien, mais c’est pourtant d’un grand soulagement pour les professionnels de santé.

Ensuite, le numérique est devenu un soutien technique pour le diagnostic ou le traitement de certaines maladies. Rappelons que l’intelligence artificielle (qui n’en est pourtant qu’à ses débuts d’exploitation professionnelle) délivre déjà, dans certains domaines, des diagnostics plus pertinents que ceux des spécialistes eux-mêmes.

Enfin, le numérique est un moyen qui peut contribuer efficacement à résoudre certains problèmes de société tels que les déserts médicaux en permettant le développement de la télémédecine.

Le numérique permet donc d’envisager d’incroyables évolutions pour la médecine qui sera d’ailleurs de plus en plus empreinte de numérique car c’est le sens de l’histoire.

Dans quelques années, qui voudra aller voir un médecin « non augmenté » par la technologie c'est-à-dire prenant le risque d’émettre un diagnostic non pertinent alors qu’il sera si simple d’appuyer sur un bouton pour obtenir une validation d’opinion ou une proposition d’ordonnance ? Le mythe du médecin qui sait tout, c’est bien dans les séries télévisées, mais le Docteur House n’existe pas dans la vraie vie !

Le mythe du médecin qui sait tout, c’est bien dans les séries télévisées, mais le Docteur House n’existe pas dans la vraie vie !

Les professions du droit

74. Les professions réglementées juridiques sont très proches des experts-comptables.

Elles présentent toutefois une différence essentielle : elles ont été impactées de toute part bien avant la profession comptable. C’est pourquoi, l’analyse de leur expérience est éminemment intéressante.

Comme pour les professions médicales, notamment, l’impact du numérique pour les professions du droit prend de multiples formes. Nous allons dresser la synthèse des impacts et des enjeux.

Plus qu’une crise, nous vivons une transition fulgurante d’un ancien monde vers un nouveau monde. La vitesse de cette transition est sans précédent, du fait à la fois de son accélération, mais aussi de son ampleur

(Patrice Gras, Président du Syndicat des huissiers de justice, septembre 2017).

Les legaltechs, nom donné aux start-up du droit (voir § 15), sont parties à l’assaut du marché des professions libérales juridiques, mettant ainsi les professionnels traditionnels, notamment les avocats, dans une situation délicate. Ces sociétés bouleversent le paysage juridique en proposant des services à un coût très inférieur à celui des professionnels installés.

Sans dresser un inventaire exhaustif des impacts sur ce secteur, nous allons présenter quelques exemples qui mettent en lumière les principaux impacts de la révolution numérique sur ces professions.

Pour commencer, le numérique est un allié exceptionnel pour aider les juristes. Sans parler des plateformes publiques d’accès au droit comme Légifrance ou le Bofip, il existe de nombreux sites de documentation juridique gratuits ou payants. Tous les éditeurs proposent aujourd'hui un accès à leur base sur internet.

Au-delà de ces sites classiques, une base de données mérite d’être signalée. Il s’agit de doctrine.fr, un moteur de recherche juridique gratuit. Cette start-up utilise le big data et la machine learning pour proposer ce moteur et d’autres services à plus forte valeur ajoutée, comme la justice prédictive.

Tous ces sites aident les professionnels en leur permettant un accès plus facile au droit. Il s’agit donc bien de ressources nouvelles nées du développement du numérique.

• Du côté des notaires, la technologie a eu plusieurs impacts.

On peut déjà saluer les énormes progrès réalisés depuis quelques années pour faciliter et simplifier les signatures d’actes. En effet, aujourd'hui, la plupart des notaires proposent à leurs clients de signer les actes authentiques par voie électronique. Finie la corvée de parapher des dizaines et des dizaines de pages ! Certains proposent aussi la visioconférence.

De même, certaines start-up proposent aux notaires des solutions en ligne pour automatiser un certain nombre de tâches traditionnellement confiées à un collaborateur. Signalons notamment Foxnot.com ou Mynotary.fr. Cette dernière propose, par exemple, tout un ensemble de prestations aux notaires pour faciliter leur travail : centralisation et gestion des dossiers, pilotage et suivi des dossiers sur des tableaux de bord, dématérialisation des dossiers et des signatures, aide à la rédaction des actes, récupération automatique des pièces d’urbanisme…

Il existe aussi des start-up moins appréciées dans le monde notarial, comme testamento.fr. Cette plateforme permet à ses utilisateurs d’obtenir en quelques minutes un modèle de testament 100 % adapté à leur situation et qui peut évoluer en fonction de leur situation. Le site propose aussi de faire relire et enregistrer le testament chez un notaire sans se déplacer.

• Chez les avocats, la situation est la même.

Certains nouveaux acteurs ont vocation à soulager les avocats en automatisant certaines de leurs tâches. D’autres souhaitent clairement en découdre et prendre leur place.

De nombreuses sociétés sont nées avec la vocation d’aider les avocats ou … leurs clients (ce qui ne manque pas de faire grincer les dents des professionnels) dans leurs démarches juridiques, essentiellement en droit des affaires. Ainsi, Legalstart.fr ou Captain Contrat sont des plateformes de création de documents juridiques et de formalités administratives à destination des TPE/PME. Ils proposent de générer des documents juridiques à prix attractifs (entre 30 et 50 % du prix habituel). Ces documents sont des compromis entre des modèles à adapter et une rédaction sur mesure d’un document par un professionnel.

En pratique, un algorithme construit le document (bail, contrat de travail …) à partir de briques assemblées comme des Lego. Certaines start-up proposent même de faire valider le document par un avocat en chair et en os. Pour Pierre Aïdan, fondateur de Legalstart.fr, « les entrepreneurs n’ont pas de budget à consacrer au juridique et ne savent pas vers qui se tourner ». Ces plateformes permettent ainsi l’accès au droit pour les TPE et PME (www.village-justice.com/articles/Justice-innovation-est-bel-bien,22162.html).

Signalons que Legalstart.fr et le cabinet In Extenso ont passé un accord de partenariat afin de conjuguer leurs efforts en faveur de la création d’entreprise et de l’accompagnement des créateurs. Cet exemple montre qu’il est difficile de classer ces start-up : ce site, considéré comme un ennemi par une grande part de la profession, est en effet un partenaire pour d’autres professionnels.

D’autres plateformes vont plus loin encore. Elles interviennent dans le monde judiciaire. La plateforme demanderjustice.com propose, par exemple, de constituer sur internet un dossier pour le tribunal, sans se déplacer et sans l’assistance d’un avocat (voir § 15). Ce site accompagne les justiciables qui intentent un procès relevant du tribunal d’instance (c'est-à-dire pour les litiges allant jusqu’à 10 000 €). Créée en 2012, la start-up compte près de 700 000 dossiers gérés depuis sa création avec un taux de 82 % de plaignants ayant obtenu gain de cause. Cette start-up remplace véritablement l’avocat : préparation et envoi d'une mise en demeure à la partie adverse pour une tentative de résolution amiable du différend, mise en forme du dossier, envois des documents officiels de manière automatisée avec toutes les pièces annexes, édition de la déclaration au greffe, saisine du tribunal compétent… Leader des procédures de saisines dématérialisées, DemanderJustice.com revendique aujourd'hui 20 % des affaires traitées par les juridictions de proximité en France.

Fort de son succès et de ses propres victoires judiciaires (voir § 32), le fondateur, Jérémy Oinino, qui n’est pas du tout issu du monde juridique, a même récidivé en créant d’autres sites dédiés à des procédures particulières comme saisirprudhommes.com pour permettre aux salariés d’engager une procédure devant le conseil des prud’hommes pour moins de 100 euros ou actioncivile.com pour mener une action collective (nom français des « class actions » américaines ).

Pour éviter de se trouver en concurrence frontale avec les plateformes, les professionnels doivent impérativement revoir leur copie.

Globalement, les professions du droit voient évidemment d’un très mauvais œil l’arrivée de ces legaltechs dot elles considèrent qu’un certain nombre d’entre elles violent le périmètre du droit. Elles ne manquent pas de saluer les progrès technologiques et le dynamisme des acteurs, mais demandent au ministère de la justice de réguler ce marché en imposant des règles déontologiques rigoureuses. D’après elles, ces start-up ne présentent pas les garanties suffisantes pour assurer un service de qualité dans l’intérêt du justiciable. La loi de programmation pour la justice prévoit d’ailleurs une certification facultative des plateformes de résolution amiable des litiges pour faire le tri dans cette offre foisonnante (Premier forum parlementaire de la legaltech, Sénat, 18 juin 2018).

L’intelligence artificielle montre également le bout de son nez en matière juridique (voir § 28). Des robots dotés d’intelligence artificielle ont ainsi fait leur entrée dans les cabinets d’avocats, aux États-Unis mais aussi en France.

Toutes ces innovations, souhaitées ou redoutées, ne sont naturellement pas sans effet sur les professions réglementées du droit. Pour éviter de se trouver en concurrence frontale avec les plateformes, les professionnels doivent impérativement revoir leur copie, c'est-à-dire faire évoluer leur offre, leur modèle économique et augmenter la valeur perçue de leurs prestations.

Quels enseignements tirer de cet exemple ?

Le numérique impose une réflexion en profondeur sur la chaîne de valeur de chaque profession.

75. De tous les secteurs étudiés, les professions réglementées du droit sont incontestablement celles qui sont les plus proches de la profession comptable.

Comme pour les autres secteurs, les impacts du numérique sont particulièrement lourds. Ils bouleversent non seulement la production en mettant à disposition des solutions technologiques d’automatisation, mais aussi l’offre en rendant possible la création d’offres alternatives.

Le numérique impose une réflexion en profondeur sur la chaîne de valeur de chaque profession pour être en mesure de proposer une offre renouvelée, enrichie, augmentée.

Il y a quelques jours, je déjeunais avec des confrères avocats et nous nous amusions de la réaction des chauffeurs de taxi exigeant un délai de prise en charge pour les clients des VTC. Un autre confrère s'installe alors à notre table et nous demande de nous mobiliser contre ceux qu'il désigne comme les « braconniers du droit », les fondateurs du site DemanderJustice.com, qui comparaissaient le 6 février (2014, ndlr.) devant le tribunal correctionnel de Paris pour exercice illégal du droit. Je me suis retrouvé bien seul à leur expliquer que leur réaction était la même que celle des chauffeurs de taxi dont ils moquaient, quelques minutes avant, « l'attitude ringarde et rétrograde ». Ces deux situations sont emblématiques de la transformation provoquée par les nouvelles technologies sur les professions réglementées

(extrait de l’article « Taxis et avocats, même (mauvais) combat », Les Échos, 7 mars 2014).

Cet article rédigé par François Mazon a le mérite de poser les choses clairement. Comme poursuit ce brillant avocat,

... il me semble que l'enjeu pour les avocats n'est pas de se battre pour garder des prestations de faible valeur que la technologie permet aujourd'hui d'industrialiser, mais de se concentrer sur des prestations à forte valeur qui ne pourront jamais être automatisées

La véritable problématique des professions juridiques est ici parfaitement résumée. Elle est d’ailleurs identique à celle de la profession comptable : comment se repenser en renonçant à des prestations à faible valeur ajoutée qui représentent encore l’essentiel de l’activité des cabinets ?

Et la suite ? Les prochaines années ne s’annoncent pas non plus comme un long fleuve tranquille. La blockchain (voir § 18) risque de bouleverser un grand nombre de secteurs. Parmi les 10 secteurs les plus touchés figurent l’immobilier, la santé, le droit et la banque (www.buzzfeed.com/juanblanco76/10-industries-that-will-soon-be-disrupted-by-block-3eenc?utm_term=.khzbgVV996#.hrn7knn00O) ! Comment ? En agissant comme un tiers de confiance, garant des transactions. La blockchain pourrait donc aller encore plus loin dans la disruption des acteurs en place.

Comment se repenser en renonçant à des prestations à faible valeur ajoutée qui représente encore l’essentiel de l’activité des cabinets ?

Comment se sont adaptées quelques entreprises emblématiques ?

Comme nous l’avons déjà mentionné, difficile pour une entreprise d’échapper à une transformation profonde de son modèle dans le cadre de son adaptation à la révolution numérique.

Après avoir étudié quelques secteurs emblématiques, nous allons nous intéresser à quelques entreprises dont le parcours de transformation est intéressant.

La Fnac

76. À première vue, rien ne permet de comparer la Fnac avec les experts-comptables. Et pourtant, comme l’a indiqué Alexandre Bompard, alors Président de la Fnac, en ouverture du 67e congrès de l’Ordre des experts-comptables, comme la Fnac, la profession est contrainte de changer et elle dispose d’une marque forte et respectée. Au cours de cette intervention, Alexandre Bompard évoquait la situation qu’il y avait trouvée à son arrivée dans l’entreprise.

Ce discours passionnant est parfaitement transposable à la profession comptable (www.youtube.com/watch?v=ylI7AvWSpgY, à la minute 59’12).

Quand il est arrivé à la Fnac, il y avait urgence à agir et cette urgence avait pour origine l'explosion d'internet. Internet a, en effet, entraîné la dématérialisation des marchés historiques et donc la désintermédiation de la Fnac. En 5 ans, un certain nombre de familles de produits ont vu leur chiffre d'affaires divisé par deux, comme le disque ou la vidéo.

Ensuite, la Fnac a changé de concurrents. La concurrence n'est plus seulement le fait des distributeurs traditionnels (Darty, Cultura, Virgin ou Boulanger), mais elle est surtout celle de géants mondiaux du commerce en ligne comme Google, Amazon, Apple ou Microsoft. Ces acteurs venus d’internet ont renouvelé les standards et inventé une nouvelle manière de faire du commerce.

Et Alexandre Bompard de marteler :

À la Fnac, nous ne pouvons plus faire comme si de rien n'était, comme si rien n'avait changé

La Fnac a donc été contrainte de changer et vite car attaquée sur son cœur de business.

Comment la Fnac a-t-elle réagi ? En fait, elle s’est repensée en profondeur en s’appuyant sur « une marque d'une puissance folle qui jouit d'un capital client inestimable qui incarne l'engagement, l'indépendance, l’expertise, l’innovation, la culture ».

Comme la Fnac, les experts-comptables bénéficient d’une marque qui a la confiance des entreprises, qui possède un ADN fort, une histoire, des valeurs, une éthique, en un mot des fondations solides pour se transformer.

Concrètement, elle :

• a commercialisé de nouvelles familles de produits pour compenser la perte de CA sur les produits traditionnels ;

• a développé de nouveaux types de magasins plus petits, pour les cœurs de ville pour un meilleur maillage du territoire ;

• a infusé le digital dans toute l’entreprise avec le développement d’une entreprise omnicanal, c’est-à-dire qui propose de nombreux moyens d’accéder à ses produits ;

• s’est recentrée sur le consommateur. La Fnac a notamment interrogé ses clients pour connaître leur opinion, leurs besoins et leurs attentes.

Pour se transformer, la Fnac s’est appuyée sur ses valeurs : des produits haut de gamme et de qualité irréprochable.

Que peut-on tirer comme leçons de cet exemple ?

77. Comme la Fnac, la profession comptable doit se refonder sur de nouvelles bases en s’appuyant sur ses valeurs historiques, en infusant le numérique et en remettant le client au cœur de sa mutation.

Comme la Fnac, les experts-comptables bénéficient d’une marque qui a la confiance des entreprises, qui possède un ADN fort, une histoire, des valeurs, une éthique, en un mot des fondations solides pour se transformer.

La Poste

78. La Poste, encore une entreprise bien éloignée de la profession comptable. Quels points communs peut-il exister entre ce mammouth qui emploie des dizaines de milliers de personnes pour distribuer du courrier et les experts-comptables ? Et pourtant …

L’activité principale de la poste est de distribuer du courrier. Cependant, depuis des années, cette activité historique disparaît peu à peu du fait du développement des échanges numériques (emails, SMS, réseaux sociaux…) et de la concurrence des entreprises privées d’acheminement des plis et des colis.

Les nouvelles technologies ont tout simplement cannibalisé l’activité traditionnelle de cette institution créée par Louis XVI, comme les logiciels de nouvelle génération vont cannibaliser celle des experts-comptables. Dès lors, La Poste a été contrainte de trouver de nouvelles activités pour occuper les 90 000 facteurs.

La Poste a donc mis en œuvre, depuis plusieurs années, un plan stratégique de diversification de son activité. Au-delà de la Banque Postale, qui compte plus de 10 millions de clients, parmi ses nouvelles activités moins connues, on trouve des services tels que le passage du code de la route, le relais pour dépôt de colis, mais aussi l’accompagnement à domicile des personnes âgées avec le service « veiller sur mes parents »…

Pour trouver de nouvelles missions, la Poste s’est appuyée sur le rôle fondamental de lien social qu’elle assure par l’intermédiaire de ses facteurs. Ce lien social constitue le point de départ de la diversification du groupe sur les services à la personne.

« Le facteur est un acteur quotidien du lien social, notamment pour les seniors les plus isolés », expliquait Philippe Wahl, PDG du groupe La Poste, dans une tribune publiée sur le réseau social professionnel LinkedIn. Le service d'aide aux personnes âgées contribue « à soulager les aidants dans leurs tâches, à rassurer les familles, et à améliorer le bien-être et la sécurité des seniors », précise Philippe Wahl. Au-delà de la diversification de ses missions, le groupe a développé l’utilisation du numérique à tous les niveaux de l’entreprise : organisation, management, nouveaux services et produits…

La Poste est même devenue « entreprise digitale de l’année » (Trophée des industries numériques en 2016). En effet, le groupe a été primé pour son outil destiné aux facteurs et construit avec son « hub numérique ». Cette application gratuite permet de gérer de très nombreux aspects de la vie quotidienne.

Autre exemple de sa digitalisation, la Poste permet de se connecter à franceconnect.gouv.fr, un service d’accès aux services publics en ligne (impôts, Ameli, points de permis de conduire…). Grâce à FranceConnect, plus besoin de mémoriser de multiples identifiants et mots de passe.

La Poste est également devenue opérateur de téléphonie, assureur…

Que peut-on tirer comme leçons de cet exemple ?

79. La Poste est une véritable institution. Pourtant, malgré ses cinq siècles d’existence, elle a été secouée par la révolution numérique qui a mis à mal son activité historique. Dans ces conditions, elle a dû adapter son offre pour développer de nouvelles sources de revenus. Pour cela, elle s’est appuyée sur son ADN qui est le lien social.

Elle a aussi développé le numérique dans tous les services pour gagner en efficacité et améliorer la relation clients.

Une fois de plus, cette expérience nous montre que de nombreux acteurs sont impactés par le numérique et condamnés à se réinventer pour survivre. Ça n’arrive pas qu’aux autres.

Dans ces conditions, elle a dû adapter son offre pour développer de nouvelles sources de revenus. Pour cela, elle s’est appuyée sur son ADN qui est le lien social.

Taxis G7

80. Comment rédiger un ouvrage sur la transformation numérique sans parler … des taxis ? Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises dans cet ouvrage, mais un focus particulier sur l’entreprise Taxis G7 est intéressant.

Le titre d’un article résume bien la situation de cette entreprise : « Comment Taxis G7 est ressuscité » (www.infrastructurefrance.fr/2017/06/06/comment-taxis-g7-est-ressuscit%C3%A9/). Il y a quelques années, qui aurait parié sur le retour de cette entreprise sur la scène après l’arrivée des VTC ? Ces concurrents ont apporté avec eux une expérience client plus agréable : voitures propres et accueillantes, chauffeurs aimables, services à bord, commande très simple, facilité de paiement…

Après une longue période de lutte avec les VTC, un certain nombre d’entreprises de taxis ont décidé de se transformer et de reconquérir les clients. En fait, Taxis G7 s’est véritablement métamorphosée en imitant… l’offre d’Uber ! Pour ce faire, Taxis G7 a décidé de digitaliser sa relation clients : nouvelle appli simple d’utilisation, bouton connect (qui permet de payer un Taxi G7 pris à la volée dans la rue avec une carte bleue en demandant un code au chauffeur), notation des chauffeurs, wifi dans les voitures…

Au-delà des technologies, Taxis G7 a également amélioré sa relation clients : chauffeurs aimables, voitures propres, services dans les voitures (bouteille d’eau, bonbons, wifi…). Tout est fait pour chasser cette mauvaise image des taxis et reséduire les clients. L’entreprise a même créé des offres pour les jeunes, proposé des prix à la baisse, des forfaits aéroports et des options premium.

Et demain ? Travis Kalanick, le fondateur d’Uber, a prévu de réduire significativement le prix des courses Uber car selon lui :

ce qui coûte le plus cher, c’est le chauffeur

Avec l’arrivée des voitures autonomes sans conducteur, le secteur n’a pas fini de se transformer.

Sans oublier la blockchain. Elle pourrait bien permettre à de nouveaux acteurs d’ubériser les plateformes de VTC, en se passant d’elles. Autrement dit, il serait possible de commander un taxi sans passer par une plateforme mais tout simplement par la blockchain (voir § 18).

Que peut-on tirer comme leçons de cet exemple ?

81. L’entreprise Taxis G7 est très intéressante. Le secteur d’activité présentait toutes les caractéristiques d’une cible idéale pour les ubérisateurs : pas de remise en cause depuis des années, pas de vraie concurrence, prix élevés, qualité de services non satisfaisante, monopole… Quand les VTC ont envahi les rues des grandes villes, les taxis indépendants ou en société ont violemment réagi (comme beaucoup d’autres professions en pareille situation). Puis un certain nombre d’entre eux ont compris qu’au-delà de la lutte corporatiste, il fallait réagir sur le terrain des envahisseurs.

L’entreprise s’est digitalisée, elle a beaucoup investi dans la relation clients en ligne, elle a adapté son offre, proposé de nouveaux services, etc. Dit autrement, elle s’est inspirée des méthodes de ses ubérisateurs pour évoluer et s’adapter. Aujourd'hui, le site internet et l’appli de Taxis G7 n’ont rien à envier à ceux des principaux VTC.

Parallèlement, il est intéressant de constater que le prix moyen des licences de taxis enregistre une remontée depuis 2017 après une baisse vertigineuse (https://6-t.co/prix-de-licence-de-taxi-se-stabilise-a-paris-signe-dune-maturite-marche/).

Le secteur d’activité présentait toutes les caractéristiques d’une cible idéale pour les ubérisateurs : pas de remise en cause depuis des années, pas de concurrence, prix élevés, qualité de services non satisfaisante, monopole…