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Parution: septembre 2018

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Le K

Un chantier : repenser l’utilité du cabinet pour les clients

Pour cette troisième partie, nous vous présentons le K d’un cabinet que nous avons accompagné.

Installé en province, le cabinet créé et dirigé par Christophe emploie une dizaine de collaborateurs. Les missions et méthodes de travail sont tout à fait classiques. Depuis quelques années les résultats s’érodent, les collaborateurs sont de plus en plus débordés et les temps passés sur les dossiers augmentent, mais rien de bien grave.

100. Christophe a conscience de la nécessité de revoir en profondeur les fondamentaux du cabinet. Il souhaite alléger les travaux sur la mission traditionnelle pour gagner du temps, améliorer la rentabilité et être en mesure de proposer de nouveaux services aux clients. À la clé, la pérennité et la rentabilité du cabinet sont en ligne de mire.

Pourtant, Christophe reporte cette réflexion de mois en mois car il sent bien qu’il n’y a pas d’urgence. Les clients ne sont pas demandeurs, ils préfèrent continuer à apporter leur boîte à chaussures avec les pièces comptables dedans. Quant aux collaborateurs, ils sont très bien comme ça et ne veulent pas en entendre parler.

Un jour, à son retour de vacances, Christophe reçoit un courrier de l’un de ses clients historiques. Ce dernier lui indique qu’il l’apprécie beaucoup, qu’il le remercie pour tout ce que le cabinet lui a apporté pendant toutes ces années… mais qu’il a reçu une proposition d’un autre cabinet, qui est 25 % moins cher que lui. Pour Christophe, c’est un véritable électrochoc. Il se met à triturer les chiffres du dossier de son client dans tous les sens ; mais rien à faire, il ne voit pas comment il pourrait baisser les honoraires dans de telles proportions. Son coût de revient est supérieur au prix de vente. Le constat est sans appel : ce n’est pas avec ses méthodes de travail actuelles qu’il va trouver une solution. Il est désormais urgent de revoir l’organisation et les méthodes du cabinet.

Il décide de se lancer dans une démarche pour améliorer la performance du cabinet. C’est un chantier de longue haleine, un travail important, mais c’est aussi la condition sine qua non de la pérennité du cabinet. Christophe en a bien conscience. Ce chantier va également lui donner l’occasion de revenir sur son projet qu’il reporte depuis des mois : repenser l’utilité du cabinet pour les clients.

Il informe son équipe de sa volonté de revoir les méthodes du cabinet en profondeur. Les collaborateurs du cabinet, présents à ses côtés depuis de nombreuses années, ne voient pas les choses du même œil. Ils lui expliquent qu’ils n'ont pas le choix, un bilan est un bilan et, si on veut qu'il soit juste, il faut y passer un certain temps. Ils ajoutent qu’ils ont toujours travaillé comme ça, que les normes professionnelles imposent ces travaux et qu’ils aiment le travail de qualité. En outre, ils rappellent à Christophe que les méthodes du cabinet ont fait leurs preuves sur les 20 dernières années, que les clients apprécient la qualité des travaux du cabinet et qu’il serait inconscient de changer des méthodes qui ont fait la réussite du cabinet.

L’électrochoc a réveillé Christophe, qui a pris conscience de l’urgence de la situation. Pour autant, il n’a pas eu le même effet sur les collaborateurs. En présentant son projet, sans vraiment expliquer et contextualiser sa décision, Christophe a braqué son équipe. Les collaborateurs se sont même sentis attaqués personnellement alors qu’ils sont fiers de la qualité de leur travail.

Christophe est perdu, il ne sait pas comment s’y prendre.

Après avoir pris conseil, Christophe a compris que pour obtenir le soutien et même la collaboration active de ses collaborateurs dans la mise en œuvre de son projet, il fallait les convaincre et les impliquer.

Christophe a organisé une réunion avec toute son équipe, en dehors du cabinet. Il a pris le temps d’expliquer pour donner du sens à cette décision, pour que les collaborateurs comprennent que ce changement n’était pas un caprice, mais bien une nécessité absolue pour que le cabinet s’en sorte. Il a présenté des chiffres sur l’évolution de la profession. Il a interrogé, donné la parole, écouté, répondu aux questions, engagé des réflexions.

Ensuite, il a lancé un travail collectif sur le projet du cabinet. Compte tenu de la taille du cabinet, il a sollicité toute l’équipe pour que chacun s’implique et s’approprie ce projet. L’équipe a commencé par identifier ce qui allait bien et ce qui allait moins bien, en partant de situations très concrètes vécues par les uns et les autres. Ensuite, ils ont écrit ensemble un projet de cabinet pour les années à venir. Chacun y a contribué.

C’est dans le cadre de ce travail que, tout naturellement, les collaborateurs ont été les premiers à reconnaître qu’il n’était plus possible de continuer avec les anciennes méthodes de travail. Ils se sont aperçus que la plupart de leurs réticences étaient liées à des situations particulières (des clients anciens ou assez âgés) ou des habitudes bien ancrées.

Grâce à cette démarche collective, Christophe n’a pas vraiment eu besoin de convaincre ses collaborateurs. Ils ont identifié les risques encourus par le cabinet et par eux-mêmes s’ils ne bougeaient pas. Ils ont même proposé d’organiser un concours au sein du cabinet pour encourager et valoriser les bonnes idées de changement. L’équipe s’est prise au jeu et Christophe a (presque) perdu le contrôle du projet !

Cette démarche d’intelligence collective (que Christophe considérait comme « trop parisienne à son goût ») a permis de donner une perspective, une destination claire à l’équipe. Après une période inconfortable, car ils ont bien compris qu’ils devaient changer, les collaborateurs se sont investis dans les chantiers de transformation du cabinet et ont pris plaisir et fierté à trouver ensemble des solutions concrètes pour adapter le cabinet, au-delà de ses process.

Que nous apprend ce K ?

101. Le courrier du client a été salutaire pour Christophe, qui a pris conscience de la situation. Il avait parfaitement raison tant sur le diagnostic que sur les solutions pour se sortir de cette situation délicate. Cependant, ce qu’il pensait être sa principale difficulté (mettre en place de nouvelles méthodes de travail) n’était pas le chantier le plus difficile à gérer. En effet, son équipe se révélait réfractaire à tout changement de méthode et cela compliquait passablement ses projets.

On voit bien dans cet exemple tout à fait classique que le problème n’était pas technique, mais comportemental. Pourtant, les collaborateurs de Christophe sont dévoués, impliqués et ont envie de bien faire… et même de trop bien faire ! Si Christophe avait lancé son projet de réorganisation sans tenir compte des résistances internes, c’était l’échec assuré. Non seulement, les nouvelles méthodes n’auraient pas fonctionné, mais il aurait perdu la confiance de son équipe et aurait fragilisé son cabinet.

Cet exemple montre bien que la transformation d’une entreprise ou d’un cabinet n’est pas seulement une question d’adaptation des fonctions internes. Écrire un projet de cabinet, revoir l’offre, adapter les compétences sont certes des passages obligés, mais dans les organisations humaines, il faut impérativement tenir compte de l’effet du changement sur les hommes. Les résistances de l’équipe peuvent, en effet, se révéler dévastatrices dans la mise en œuvre d’un projet ; il est donc essentiel de veiller à les prévenir et à en réduire les effets.