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Parution: avril 2022

Signature et déroulement du bail

Les troubles de jouissance

Droit à une jouissance paisible

Garantie du bailleur

Délivrance des locaux

141

Le bailleur est notamment obligé, par la nature du contrat :

-de délivrer au preneur la chose louée aux jour et conditions prévus ;

-d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail (c. civ. art. 1719).

À défaut, sa responsabilité peut être mise en cause. Toutefois, le bail contient souvent une clause qui restreint l’action du preneur en prévoyant l’exonération de garantie du bailleur pour les troubles émanant de tiers : travaux dans la rue, dans l’immeuble, etc.

L’obligation de faire jouir paisiblement le preneur du bien loué ne comporte pas d’exception tenant à la qualité du preneur (cass. civ., 3e ch., 30 novembre 1988, n° 87-15914).

En l’absence de stipulations particulières, le bailleur est seulement tenu d’assurer la délivrance, l’entretien et la jouissance paisible des lieux loués (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 2000, n° 98-23171) ; en conséquence, le bailleur ne peut être tenu responsable de l’insécurité d’un centre commercial (voir § 891).

  • Prendre les locaux en l’état. La clause par laquelle le locataire prend les locaux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance (voir § 101 « Limites de la clause prendre les lieux en l'état »).

  • Vérification de l’usage des locaux. Le bailleur doit vérifier si le bien loué peut être affecté à l’usage prévu par le bail, différent de celui auquel les lieux loués avaient été préalablement destinés (cass. civ., 3e ch., 2 juillet 1997, n° 95-14151) ; en l’espèce, le bâtiment était situé dans une zone non constructible et exclusivement réservée à l’agriculture.

  • Accès aux locaux loués. Un passage situé sur une parcelle voisine, propriété d'un tiers, permettait, à l'origine, d'accéder en voiture aux locaux loués. Il avait été ultérieurement vendu et le nouveau propriétaire l'avait clôturé. Les bailleurs ont été tenus, au titre de leur obligation de délivrance, de mettre à disposition du locataire un autre accès permettant l'exploitation normale du local (cass. civ., 3e ch., 30 juin 2021, n°17-26348).

    L'accès est dû au locataire quand bien même ce dernier n'aurait pas encore débuté son activité. Ainsi, le bailleur ne satisfait pas à son obligation de faire jouir paisiblement le locataire du local lorsqu'il change la serrure du rideau métallique de l'entrée principale. Peu importe que ce fait n'ait pas causé de préjudice au locataire dont le restaurant ne fonctionnait pas encore, la privation de tout accès aux lieux loués caractérise un trouble de jouissance (cass. civ., 3e ch., 04 mars 2021, n°19-13240).

  • Absence de certificat de conformité. Manque à son obligation d’information du preneur le bailleur qui dissimule au locataire l’absence de certificat de conformité lié à la construction du bâtiment donné en location (cass. civ., 3e ch., 19 juillet 2000, n° 98-22200).

  • Face à un défaut de délivrance. Lorsque le bailleur ne remplit pas son obligation de délivrer, le preneur a le choix soit de se faire autoriser en justice à se mettre en possession, s’il n’y a pas impossibilité matérielle ou légale, soit de demander la résiliation du bail. En outre, le locataire qui n’a pu obtenir la délivrance doit être indemnisé par le bailleur lorsque le défaut de délivrance provient de celui-ci (cass. civ., 3e ch., 16 janvier 1980, n° 78-12389).

  • Logement décent. Lorsque la location porte également sur un logement, le bailleur doit délivrer un logement décent pour l’habitation principale du locataire (c. civ. art. 1719).

  • Surface insuffisante. A satisfait à son obligation de délivrance le bailleur qui a remis un local d’une superficie hors œuvre nette de 175 m2, alors que le bail portait sur une surface hors œuvre brute de 220 m2 du fait de l’aménagement en terrasse ou promenoir effectué par le précédent locataire cédant du bail (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 1995, n° 93-18654).

Troubles de jouissance

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Le bailleur ne doit pas troubler la jouissance du preneur. Mais cette obligation, de portée générale, doit être interprétée en fonction de certaines clauses du bail limitant la responsabilité du bailleur en cas de privation ou d’interruption d’éléments d’équipements prévus.

  • Travaux dans l’immeuble voisin. L’action en réparation du trouble de jouissance subi par un locataire à la suite de travaux réalisés par le bailleur sur l’immeuble voisin (dont le bailleur est propriétaire), doit être engagée sur le fondement de la garantie du bailleur prévue à l’article 1719 (voir § 141), et non sur la responsabilité du fait des choses (cass. civ., 3e ch., 10 novembre 1998, nos 96-15483 et 96-16551).

  • Obligation du bailleur de réunir l’assemblée générale extraordinaire. Certes, le bailleur n’a pas, en principe, l’obligation de garantir une jouissance paisible sur les parties communes, qui relèvent de la copropriété. Mais il ne doit pas rester passif et il doit faire réunir une assemblée générale extraordinaire de copropriétaires si cette assemblée doit permettre de faire cesser le trouble que subit le locataire. À défaut, sa responsabilité peut être engagée (cass. civ., 3e ch., 9 février 2010, nos 08-10324 et 08-10752).

Garantie des vices cachés

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Le bailleur doit garantir le preneur contre tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, même si le bailleur ne les a pas connus lors du bail (cass. civ., 3e ch., 7 janvier 2009, n° 07-11516).

S’il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’indemniser (c. civ. art. 1721).

  • Vices non apparents. À défaut de dérogation expresse et non équivoque, le bailleur doit garantir le locataire contre les vices non apparents de la chose louée (cass. civ., 3e ch., 26 février 1971, n° 69-14401). Ainsi, le bailleur a notamment été déclaré garant des conséquences liées :

    -à la faille d’une dalle de béton et du défaut de construction d’un plancher en bois non conformes aux normes de sécurité (cass. civ., 3e ch., 13 octobre 1981, n° 80-11277) ;

    -du préjudice dû à la chute d’un morceau de béton, détaché d’un balcon, sur un passant. Le preneur ayant fait face normalement à son obligation d’entretien, il ne pouvait être responsable des désordres résultant d’un vice caché (cass. civ., 3e ch., 8 juillet 1987, n° 86-11356) ;

    -à un vice de fabrication d’un store défectueux et de son installation (cass. civ., 3e ch., 21 novembre 1990, n° 89-15931) ;

    -au descellement de la barre d’appui d’une fenêtre (cass. civ., 1re ch., 25 janvier 1961, JCP éd. G 1962.II.12429). Mais a été exonéré de toute responsabilité le bailleur éloigné des lieux qui n’avait pas été averti par le locataire, d’une manière quelconque, de procéder à des réparations dont il n’était pas à même de constater l’urgence (cass. civ., 1re ch., 15 juillet 1963, BC I n° 391).

  • Clause d’exonération de garantie. L’article 1721 étant supplétif de la volonté des parties, le bailleur a la faculté, par une clause expresse et précise, exclusive de mauvaise foi, de s’exonérer de la garantie des conséquences pécuniaires des dommages causés par le vice de la chose (cass. civ. 10 décembre 1980, Gaz. Pal. 1981, 1, somm. 122).

    La clause en vertu de laquelle le preneur « prend les lieux dans l’état où ils se trouvent » ne fait pas obstacle au recours du locataire pour vices cachés (CA Paris 1er octobre 1991, Loyers 1992, n° 56).

    De même, cette clause ne peut dispenser le bailleur de son obligation de réfection d’une installation électrique affectée d’un vice (cass. civ., 3e ch., 29 mars 1995, n° 92-21471).

  • Gel et mauvais état des canalisations. Le propriétaire est responsable du dommage subi par le locataire du fait de la rupture de canalisation d’eau due au gel (cass. soc. 24 février 1960, D. 1960, 463) ; sa responsabilité est d’autant plus lourde lorsque le bien est particulièrement exposé au gel, du fait que l’installation située sur les murs extérieurs est trop légère et que le bailleur n’a pas fait exécuter les travaux de nature à remédier aux défectuosités connues et maintes fois signalées par le locataire (cass. civ., 3e ch., 17 juillet 1987, n° 86-12069).

    La responsabilité du bailleur a également été retenue en présence d’infiltrations d’eau dues au mauvais état des canalisations (cass. civ., 3e ch., 19 janvier 1977, n° 75-11649).

  • Vices apparents. En revanche, le bailleur n’est pas responsable des vices apparents lorsque ces derniers ont été, ou ont pu être, connus du locataire qui en a accepté le risque, à moins que, de peu d’importance, ils se soient ensuite aggravés de façon dangereuse (voir, par exemple, cass. civ., 1re ch., 12 octobre 1959, n° 57-10539). Le bailleur ne répond pas non plus des inconvénients naturels inhérents à la chose par suite de sa situation (voir par exemple : inondation d’une cave dans un immeuble situé à proximité d’un fleuve ; cass. civ. 10 juin 1949, D. 1949 J. 496).

  • Présence de vrillettes. Lorsque le preneur a pris les locaux en l’état sans pouvoir exiger aucune réparation, y compris celles de l’article 606 du code civil, les juges du fond ayant retenu que la présence de vrillettes ne constitue pas un vice caché mais un phénomène visible dont l’action n’aboutit à la nécessité de travaux qu’en raison du défaut d’entretien et de surveillance de l’immeuble (cass. civ., 3e ch., 19 mai 1999, n° 97-19669).

  • Vice caché ne vaut pas force majeure. L’existence d’un vice caché ne saurait être assimilée à un cas de force majeure, lequel a nécessairement une origine extérieure à la chose louée (cass. civ., 3e ch., 2 avril 2003, n° 01-17724). En l’espèce, le bail prévoyait qu’en cas de destruction de la majeure partie des locaux loués, le bail serait résilié de plein droit ; or, la voûte des locaux situés dans le sous-sol s’est effondrée suite à des transformations effectuées par l’ancien locataire. Le bailleur soutenait que les désordres survenus étaient un cas de force majeure justifiant la résiliation du bail, et non la conséquence d’un défaut d’entretien.

  • Preuve. Pour obtenir la condamnation du bailleur à le garantir du préjudice qu’il a subi, le locataire n’a pas à prouver que le bailleur n’a pas fait le nécessaire pour l’entretien de l’équipement défaillant mais à démontrer que l’équipement présente un dysfonctionnement à l’origine de son préjudice (cass. civ., 3e ch., 1er avril 2009, n° 08-10070).

Interdiction de changement de la chose louée

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Le bailleur ne peut, pendant la durée du bail, changer la forme de la chose louée (c. civ. art. 1723).

  • Remise en état. À la suite de modifications importantes en cours de bail, le bailleur a été tenu de remettre en état les locaux dans les cas suivants :

    -rétablissement d’un deuxième escalier supprimé (cass. civ., 1re ch., 14 octobre 1964, BC I n° 445 ; 22 mars 1961, BC III n° 178) ;

    -restrictions des facilités d’accès au local loué (cass. civ., 1re ch., 8 octobre 1962, BC I n° 398) ;

    -extension d’une galerie marchande dans un supermarché (cass. civ., 3e ch., 3 avril 1996, n° 94-14485).

  • Galerie marchande. La modification de l’environnement commercial d’une galerie marchande n’entre pas dans le champ d’application de l’article 1723, qui limite la garantie du bailleur aux modifications de la structure de la galerie (cass. civ., 3e ch., 24 septembre 2002, nos 01-11334, 01-11335 et 01-11336).

  • Caractère léger du trouble de jouissance. Sur décision du syndicat des copropriétaires, des grilles sont posées en façade d'un immeuble de façon a en empêcher l'accès entre 19h et 8h. Le locataire de bureaux situés au rez-de-chaussée demande alors la résiliation du bail aux tort du bailleur, arguant que les grilles compliquent l'accès à ses locaux et compromettent la visibilité de sa vitrine. Le premier juge fait droit à sa demande. La cour d'appel censure la décision car les grilles étaient ouvertes aux heures d'ouverture au public des bureaux et l'atteinte à la visibilité de la vitrine était très modérée. Les grilles, que le bailleur a laissé le syndicat des copropriétaires poser, n'ont causé qu'un léger trouble de jouissance (CA Orléans, 1er juillet 2021, n°20/001181).

Troubles dans l’exercice de l’activité

Troubles causés par un tiers

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Le bailleur n’est pas responsable des troubles de jouissance occasionnés par un tiers (c. civ. art. 1725).

Tel est le cas du trouble apporté à un locataire par l’exploitation d’un restaurant dans un immeuble voisin (cass. civ., 3e ch., 19 mars 1986, n° 84-15501) ; lorsque les troubles de jouissance subis par le locataire proviennent d’agissements de tiers, le propriétaire ne saurait être condamné à faire cesser ce trouble (cass. civ., 3e ch., 6 novembre 2001, n° 00-17224).

  • Clients d’un autre locataire. Les clients d’un autre locataire ne sont pas des tiers au sens de l’article 1725 (cass. civ., 3e ch., 22 octobre 2003, n° 01-17183) ; le bailleur, au cas considéré, a été condamné à réparer le préjudice subi par l’un de ses locataires du fait des vols et dégradations commis par des clients d’un autre occupant de salles de réception ; en outre, le bailleur s’était engagé contractuellement à garantir les troubles occasionnés par des tiers en faisant assurer par des vigiles la sécurité de l’établissement et de ses occupants.

  • Préposé du bailleur. Cette exonération de garantie ne peut pas jouer pour les troubles de fait commis par des préposés du bailleur, par exemple un concierge (cass. civ., 3e ch., 6 novembre 1970, n° 69-12350).

  • Infiltrations d’eau. Pour accueillir une demande en réparation formée par un locataire à la suite d’infiltrations d’eaux pluviales affectant les lieux loués, dues à la rupture d’une canalisation du réseau d’eaux, les juges du fond ont retenu que le bailleur n’avait pas mis en œuvre tout ce qui était en son pouvoir pour permettre au locataire une jouissance paisible des lieux loués. Cette responsabilité ne pouvait être retenue dans la mesure où il était constaté qu’un tiers, gérant pour la commune le réseau d’eaux pluviales, était à l’origine du trouble (cass. civ., 3e ch., 28 juin 2000, n° 98-20406). Mais la commune, qui avait réalisé des travaux sur un trottoir ayant entraîné un dégât des eaux dans les lieux loués, étant contractuellement liée au bailleur par une convention de travaux, n’est pas un tiers (cass. civ., 3e ch., 7 novembre 2001, n° 99-20962).

    Un joaillier prend à bail des locaux commerciaux récemment construits mais d’importantes infiltrations le conduisent à interrompre longtemps son exploitation. Elles entraînent, en outre, des détériorations du mobilier et des agencements. Le locataire assigne le bailleur en responsabilité pour les dommages subis et la perte d’exploitation. Les juges déclarent irrecevable cette action, les infiltrations étant dues à un vice de construction, et une clause du bail interdisant au locataire d’exercer contre le bailleur un recours pour vices cachés ou apparents, défauts ou malfaçons. Cette décision est censurée : le bailleur est tenu à une obligation de délivrance et de réparation de la chose louée afin que le preneur puisse en jouir paisiblement pendant la durée du bail. En ne rétablissant pas le clos et le couvert des locaux loués, il a manqué à cette obligation, et il est responsable de l’arrêt d’exploitation (cass. civ., 3e ch., 18 mars 2009, n° 08-11011).

Troubles causés par un autre locataire du bailleur

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Le bailleur peut voir sa responsabilité engagée pour des troubles occasionnés par un de ses locataires envers un autre. En effet, le bailleur doit garantir le locataire des troubles de jouissance causés par un autre locataire de l’immeuble, ce locataire n’étant pas un tiers au sens de l’article 1725 du code civil (cass. civ., 3e ch., 16 novembre 1994, n° 93-11184).

Le bailleur mis en cause peut se retourner à son tour contre le locataire fautif et l’appeler en garantie si celui-ci a outrepassé les droits que lui conférait son bail ; la faute du locataire pourra entraîner une résiliation du bail (voir §§ 522 et 527).

  • Colocataires : recours exceptionnel entre eux. En cas d’abus manifeste équivalant à des voies de fait, le locataire est autorisé à agir directement contre le colocataire auteur du trouble (cass. civ., 1re ch., 18 juillet 1961, BC I n° 411).

  • Qualité de la construction. La responsabilité du bailleur a été engagée lorsque le trouble subi par son locataire, du fait de l’activité normale d’un colocataire, résultait en réalité de la configuration des lieux et de la qualité de la construction (voir, en ce sens, cass. civ., 1re ch., 6 juillet 1964, Gaz. Pal. 1964-2134 ; cass. civ. 18 mars 1981, Gaz. Pal. 1981.2.270).

  • Rapports de voisinage. Le bailleur est responsable envers le preneur des troubles de jouissance causés par les autres locataires et n’est exonéré de cette responsabilité qu’en cas de force majeure (cass. civ., 3e ch., 19 mai 2004, n° 02-19730). Ainsi la garantie du bailleur joue-t-elle, même si les troubles de jouissance résultent de mauvais rapports de voisinage entre locataires (cass. civ., 3e ch., 20 avril 2005, n° 03-18390).

  • Équipements mis en place par un autre locataire. Le bailleur est responsable des installations (gaine de désenfumage et tuyauteries de production d’eau glacée) dont il a autorisé la pose à la demande d’un de ses autres locataires (cass. civ., 3e ch., 8 avril 1999, n° 97-17126). En l’espèce, un autre locataire se plaignait du trouble de jouissance que ces installations lui causaient ; pour sa défense, le bailleur faisait valoir qu’il n’était pas à l’origine du trouble et il ajoutait qu’une clause du bail le liant au demandeur comportait une clause de non-garantie.

Troubles causés par un copropriétaire

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En principe, le bailleur n’est pas garant du trouble subi par son locataire du fait d’un copropriétaire voisin.

Toutefois, si l’acte du voisin apporte au locataire une privation de jouissance sur les parties privatives, le bailleur, selon la jurisprudence, en devient garant.

Chaque copropriétaire doit respecter le règlement de copropriété et les décisions régulièrement prises.

  • Inondation. Le bailleur n’est pas responsable du préjudice subi par son locataire victime d’infiltrations et d’une inondation provenant de locaux appartenant à un autre copropriétaire (cass. civ., 3e ch., 25 mars 1998, n° 96-10119).

  • Copropriétaire acquéreur du bailleur. La jurisprudence a retenu la responsabilité du bailleur pour les troubles de jouissance (infiltrations d’eau) causés par un copropriétaire qui avait acquis du bailleur un droit de surélévation à l’origine du trouble (cass. civ., 1re ch., 21 mars 1961, Gaz. Pal. 1961.2.63).

  • Les parties communes. Lorsque le dommage a son origine dans les parties communes, le syndicat des copropriétaires est, de par la loi, responsable (loi 65-557 du 10 juillet 1965, art.14).

    Le locataire victime du dommage peut :

    -agir directement en responsabilité contre le syndicat cass. civ., 3e ch., 28 novembre 1978, n° 77-12972) ;

    -exiger du bailleur qu’il fasse valoir ses droits à l’égard du syndicat des copropriétaires ; le bailleur n’est exonéré de toute responsabilité que s’il accomplit les diligences indispensables pour mettre fin au trouble subi par son locataire (cass. civ., 3e ch., 11 mars 1992, n° 90-11886 ; cass. civ., 3e ch., 9 février 2010, n° 08-10324).

  • Responsabilité du syndicat et du bailleur. Le syndicat des copropriétaires peut être déclaré responsable avec le copropriétaire-bailleur, chacun pour moitié, des dommages causés au locataire d’un lot par le défaut d’entretien des parties communes ; en l’espèce, la cour d’appel a considéré que la société locataire avait commis une imprudence en renouvelant le bail de ses locaux dans un immeuble dont elle ne pouvait ignorer l’état de délabrement avancé (CA Paris 22 novembre 1991, Loyers 1992, n° 140).

    Alors que le bailleur devait faire toute diligence pour faire intervenir le syndicat des copropriétaires le plus rapidement possible, il n’a pas respecté ses engagements. Les travaux d’étanchéité sur les parties communes ne sont intervenus qu’en octobre 2007, alors que le locataire s’était plaint dès janvier 2000. Le bailleur a failli à son obligation de jouissance paisible résultant de l’article 1719-3° du code civil. Il est condamné in solidum, avec le syndicat des copropriétaires, à réparer le préjudice subi par le locataire (cass. civ., 3e ch., 13 juillet 2010, n° 09-66115).

  • Action en garantie contre le syndicat des copropriétaires. Contraint d'interrompre l'exploitation de son fonds de commerce pendant plusieurs mois en raison de travaux engagés par le syndicat des copropriétaires, un locataire engage une action judiciaire contre son bailleur. Ce dernier, condamné à indemniser le locataire, se retourne alors contre le syndicat des copropriétaires en garantie de sa condamnation. Le bailleur obtient gain de cause conformément à l'article 9, alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965. En effet, selon cette disposition « les copropriétaires qui subissent un préjudice par suite de l'exécution des travaux, en raison soit d'une diminution définitive de la valeur de leur lot, soit d'un trouble de jouissance grave, même s'il est temporaire, soit de dégradations, ont droit à une indemnité » (cass. civ., 3e ch., 14 janvier 2015, n° 13-28030).

  • Action de tout copropriétaire. Le règlement de copropriété ayant la nature d’un contrat, chaque copropriétaire a le droit d’en exiger le respect par les autres, sans avoir à démontrer qu’il subit un préjudice personnel et spécial distinct de celui dont souffre la collectivité des propriétaires (cass. civ., 3e ch., 22 mars 2000, nos 98-13345 et 98-15595 ; arrêt rendu à propos d’une action en cessation d’occupation irrégulière d’un appartement).

Vol dans les locaux loués

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La Cour de cassation estime que, en principe, le propriétaire n’assume pas l’obligation de garder ni de surveiller les lieux loués. Il n’est donc pas garant en cas de vol (cass. 24 mai 1948, D. 1948, 375).

De même, le bailleur n’est pas tenu à une obligation de résultat quant à la sécurité du locataire (cass. civ., 3e ch., 21 novembre 1990, n° 89-15922).

La solution peut être différente si le vol n’a pu être effectué que par suite d’une faute caractérisée de la part du propriétaire ou de son préposé (gardien de l’immeuble ou concierge).

  • Engagement de gardiennage. Pour que la responsabilité du bailleur se trouve engagée, il faut, en principe, que le bailleur se soit obligé à procurer au locataire la jouissance d’un logement surveillé soit en vertu d’une clause expresse du bail, soit en raison des usages locaux ou du statut de l’immeuble.

    En outre, il doit y avoir une relation directe de cause à effet entre le vol et le manquement à l’obligation de surveillance. La jurisprudence est très stricte pour admettre que ces conditions sont réunies (cass. 8 avril 1941, DP 1945.1.13).

  • Exonération de responsabilité. En fait, lorsque les locaux sont gardés, le bail contient le plus souvent une clause dégageant le propriétaire de toute responsabilité ; le locataire devant faire son affaire personnelle de tout dommage et s’assurer contre le risque de vol.

    Cette clause du bail peut être mise en échec en présence d’une faute lourde ; tel peut être le cas lorsque le gardien ne s’est pas rendu compte du cambriolage (cass. civ., 3e ch., 22 février 1983, n° 81-16650).

    Mais ne constitue pas une faute lourde le fait (pour le bailleur) de supprimer l’agent de sécurité sans en informer le locataire (cass. civ., 3e ch., 21 janvier 2009, n° 08-10439).

  • Défaut de remplacement du gardien. Lorsque le gardien a été licencié sans être remplacé, le bailleur a commis une faute d’une gravité telle qu’elle lui interdit de se prévaloir de la clause du bail par laquelle le preneur renonce à tout recours en responsabilité en cas de vol (cass. civ., 3e ch., 22 février 1983, n° 81-16206).

  • Digicode, appareils de surveillance. L’existence d’un retard dans la mise en place du système de digicode et du gardiennage prévue peut justifier la condamnation du bailleur à indemniser le préjudice subi par son locataire à la suite du vol avec effraction dû, pour l’essentiel, à l’absence de protection (cass. civ., 3e ch., 23 mars 1994, n° 92-11584).

    En revanche, le seul fonctionnement défectueux de l’appareil de surveillance mis en place par le propriétaire ne permet pas d’établir l’existence d’une faute commise par lui dans ses obligations de propriétaire et ne suffit pas à lui interdire de se prévaloir de la clause du bail selon laquelle le preneur renonce à tout recours en cas de vol (cass. civ., 3e ch., 17 juillet 1986, n° 85-13333).

  • Travaux à l’initiative du bailleur. Lors de travaux réalisés à l’initiative du bailleur, du matériel informatique est dérobé au locataire. La responsabilité du bailleur n’a pas été retenue, les juges n’ayant pas constaté que le vol a été commis par un préposé du bailleur et rien ne démontrait que ce vol était le fait de l’entreprise de travaux (cass. civ., 3e ch., 18 novembre 2003, n° 02-16423) ; mais la responsabilité du bailleur peut être retenue s’il ne prend pas toutes les précautions nécessaires lors de l’exécution de travaux (voir ci-après).

  • Négligences du bailleur. La responsabilité du bailleur peut aussi être retenue en cas de vol dans les locaux loués lorsqu’il est démontré une négligence au vu de circonstances précises.

    Ainsi, la Cour de cassation a condamné un bailleur qui ne s’était pas assuré que toutes les précautions relatives à la sécurité de ses locataires avaient été prises en raison de l’existence d’un échafaudage, qui constituait pour les voleurs un mode d’accès facile protégé par des bâches et qui n’avait donné lieu à aucune information aux habitants de l’immeuble ni aucun conseil de prudence et de vigilance au sujet des risques encourus aggravés en raison de la période d’été (cass. civ., 3e ch., 28 février 1990, n° 88-14028 ; cass. civ., 3e ch., 8 juillet 1992, n° 90-18367).

Tiers revendiquant un droit sur les locaux

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Il s’agit de troubles de droit qui existent dès lors qu’un tiers invoque des droits sur la chose louée et conteste ceux du bailleur et, par voie de conséquence, ceux du locataire.

Tel peut être le cas si un tiers prétend utiliser une dépendance conférée à l’usage exclusif du preneur.

Le bailleur doit répondre des troubles de droit et se trouve responsable de leurs conséquences.

En cas de troubles aboutissant à une éviction totale comme, par exemple, lorsque le bailleur loue un local à usage professionnel au mépris de la destination exclusivement bourgeoise de l’immeuble, le bail sera résilié, mais le preneur aura droit au remboursement du prix de son bail et à des dommages et intérêts.

Troubles provenant d’actes de l’administration

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Ces troubles sont de fait et le preneur ne pourra, en principe, agir en garantie envers son bailleur.

L’action du preneur sera toutefois recevable si le trouble entraîne une perte totale ou partielle de la chose visée à l’article 1722 du code civil ou si elle est fondée sur l’obligation de jouissance paisible (c. civ. art. 1719).

  • Clause de non-garantie. En pratique, le plus souvent, le bail contient une clause prévoyant l’exonération de garantie du bailleur pour les troubles émanant de l’administration ; le preneur doit alors faire son affaire personnelle de toutes les nuisances administratives. Tel est le cas de travaux dans la rue où est situé le local, de l’aménagement d’un ensemble de bâtiments, etc.

  • Travaux imposés par l'administration. Ces travaux sont étudiés plus avant (voir § 111).

  • Covid-19. Les problématiques liées aux fermetures engendrées par la crise sanitaire sont exposées dans une fiche spécifique (voir § 1040).

Action du locataire victime d’un trouble

151

Le locataire victime d’un trouble de jouissance pour lequel la responsabilité du bailleur est engagée peut solliciter soit à titre principal, soit à titre subsidiaire, des dommages et intérêts si la faute du bailleur est retenue.

Il peut aussi demander une diminution du loyer (voir, par exemple, cass. civ., 3e ch., 17 juin 1980, n° 79-10049).

Pour les contrats conclus depuis le 1er octobre 2018, en cas d'exécution imparfaite d'une prestation qui n'a pas encore été entièrement réglée, l'article 1223 du code civil offre la possibilité au créancier, après mise en demeure, de notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision de réduire de manière proportionnelle le prix de la prestation. Si cette disposition s'appliquait au bail commercial, cela signifierait que le locataire, partiellement privé de son droit de jouissance par manquement du bailleur à l'une de ses obligations, pourrait décider seul d'une réduction du montant du loyer proportionnelle à l'exécution imparfaite du bail. Le locataire devrait, dans un premier temps, mettre le bailleur en demeure d'exécuter correctement son obligation (par exemple : réaliser des travaux d'entretien nécessaires) puis, si ce dernier n'y donne pas suite, il devrait lui notifier sa décision de diminuer proportionnellement le prix du loyer. Ce mécanisme de réduction unilatérale du prix pourrait donc s'avérer un outil utile pour inciter un bailleur à respecter ses obligations mais à ce jour, faute de jurisprudence, son application aux baux commerciaux et sa mise en œuvre sont encore incertaines et, par conséquent, à considérer avec prudence.

  • Destruction des locaux. Le preneur à bail de locaux à usage commercial détruits par leur propriétaire peut obtenir réparation du préjudice et paiement d’une indemnité d’éviction dès lors qu’il existe un bail en cours, même si le locataire n’occupe plus les locaux (cass. civ., 3e ch., 9 mars 1994, n° 92-10211).

  • Résiliation du bail. En cas de trouble grave, souverainement apprécié par les tribunaux, le preneur pourra obtenir la résiliation du bail.

  • Suspension du paiement des loyers. Le locataire ne peut, sauf impossibilité d’utiliser les locaux, suspendre de lui-même le paiement des loyers (voir § 62).

Action contre le locataire responsable d’un trouble

Le preneur doit jouir des locaux raisonnablement et selon la destination prévue au bail. C’est un principe posé par l’article 1728 du code civil et régulièrement rappelé dans les baux.

L’action pour trouble de jouissance peut être exercée par le bailleur, qui a la possibilité de demander la résiliation du bail ; mais cette action peut aussi être exercée par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble considéré, ou par un autre locataire ou copropriétaire. Lorsque le locataire méconnaît les stipulations du règlement de copropriété, la Cour de cassation juge que tout copropriétaire peut, à l'instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d'un bail (cass. civ., 3e ch., 8 avril 2021, n° 20-18327).

Qu'en est-il du propriétaire d’un immeuble voisin, peut-il demander réparation des troubles causés par le locataire ? Les juges l’avaient admis à l’encontre d’un bailleur dont le locataire, restaurateur, entreposait des détritus dans un passage commun aux deux immeubles. Cependant, cette décision a été censurée par la Cour de cassation (cass. civ., 3e ch., 18 septembre 2007, n° 06-16449).

Clause de non-concurrence

Location pour un commerce similaire à celui existant

152

Le bailleur, propriétaire de locaux situés dans un même immeuble ou ensemble immobilier, en louant pour un commerce déterminé, s’interdit-il d’exercer cette même activité ou de consentir à un autre locataire un bail pour l’exercice d’un même commerce ? Une distinction doit être faite selon que le bail contient ou non une clause de non-concurrence.

Absence de clause contractuelle de non-concurrence

153

L’article 1719, 3° du code civil, qui oblige au respect d’une jouissance paisible, interdit au bailleur tous les actes propres « à diminuer les avantages matériels ou moraux résultant de la jouissance des lieux qui a été conférée à un locataire ».

Actuellement, la Cour de cassation affirme que, sauf mauvaise foi, le bailleur « a l’obligation légale de garantir au preneur la jouissance de la chose louée mais non pas la jouissance du commerce exercé dans les lieux » (cass. civ., 3e ch., 16 mars 1976, n° 74-10593 ; cass. civ., 3e ch., 4 décembre 1991, n° 90-11569).

  • Absence d’exclusivité. L’article 1719-3° du code civil impose au bailleur l’obligation de garantir au preneur la jouissance paisible des lieux loués, mais non celle de lui assurer en outre, pour l’exercice de son commerce, dans le silence du bail et à défaut de circonstances particulières, le bénéfice d’une exclusivité dans l’immeuble (cass. civ., 3e ch., 16 octobre 1985, n° 84-14105 ; cass. civ., 3e ch., 20 avril 1988, n° 87-10367) (voir, cependant, le cas du colocataire qui ne respecte pas la destination prévue, § 158).

  • Concurrence déloyale. La possibilité pour le bailleur d’exercer la même activité que son locataire peut être paralysée par une action en concurrence déloyale envers son locataire. Cette action est également admise, en l’absence de clause d’exclusivité, entre colocataires (voir, en ce sens, cass. civ., 3e ch., 28 février 1973, n° 72-10524).

Clause de garantie contractuelle

154

Le bail contient parfois, d’ailleurs à la demande du preneur, une clause interdisant la location d’autres parties du même immeuble pour l’exercice d’un même commerce ou d’un commerce similaire.

Cette clause est valable mais l’engagement de non-concurrence est limité, en principe, à l’immeuble dans lequel le locataire est installé ; il doit, en outre, respecter les règles impératives de la déspécialisation (cass. ass. plén. 26 janvier 1973, n° 71-10583). Les clauses d’exclusivité doivent s’interpréter restrictivement.

  • Caractéristiques des clauses d’exclusivité. Les clauses doivent répondre aux caractéristiques des clauses d’exclusivité et être limitées dans le temps et dans l’espace.

    Ainsi ne peut être annulée la clause par laquelle le bailleur d’un local commercial s’interdit de louer tout ou partie du même immeuble pour l’exploitation d’un commerce identique à celui du preneur, alors que cette clause est limitée à la durée du bail et à l’immeuble appartenant à ce bailleur (cass. civ., 3e ch., 7 avril 1993, n° 91-14503).

    En l’espèce, le bail autorisait « tout commerce » et les juges du fond avaient considéré que cette stipulation, ajoutée à la clause de non-concurrence, empêchait l’exercice de toute activité.

  • Création nouvelle. La validité d’une clause d’exclusivité est subordonnée à son caractère limité dans le temps et à l’immeuble appartenant au bailleur, et doit s’interpréter restrictivement. En conséquence, la clause d’exclusivité visant une galerie marchande créée en 1973 ne peut s’appliquer à une nouvelle galerie ouverte en 1988 (cass. civ., 3e ch., 8 janvier 1997, n° 94-20766).

  • Exclusion des activités annexes. Cette obligation de non-concurrence ne joue, sauf accord contraire ou situation particulière, que pour le commerce principal autorisé, à l’exclusion des activités annexes, complémentaires et surtout accessoires (cass. civ., 3e ch., 25 octobre 1972, n° 71-11563 ; voir, à propos d’un supermarché et d’une clause relative à l’alimentation générale, cass. civ., 3e ch., 15 mai 1970, n° 68-13901) ; la garantie ne concerne pas l’exclusivité du commerce choisi par le preneur autorisé à exercer des commerces multiples (cass. civ., 3e ch., 16 mars 1976, n° 74-10593).

  • Recours du preneur. En cas de violation de la garantie contractuelle, le locataire peut agir en dommages et intérêts contre le bailleur pour réparation du préjudice subi (cass. com. 16 juin 1960, BC III n° 235).

    Il peut demander la cessation de l’activité litigieuse et la résiliation du bail (cass. com. 30 avril 1965, n° 61-11137) si c’est le bailleur qui exerce lui-même l’activité irrégulière.

    Il peut également exiger du bailleur qu’il fasse respecter cette clause par les autres locataires (cass. civ., 3e ch., 4 mai 2006, n° 04-10051).

  • Sous-location. Le locataire principal ne peut, dans le local dont il sous-loue une partie, ouvrir un commerce similaire à celui de son sous-locataire (cass. com. 23 novembre 1965, BC III n° 594).

  • Annulation d’une clause de non-concurrence. Lors de l’ouverture d’un immeuble commercial, tous les baux comportaient la clause suivante : « Le preneur ne pourra, en aucun cas, exploiter des commerces actuellement exercés par les autres locataires de l’immeuble, le preneur déclarant parfaitement connaître les activités déjà exercées dans l’immeuble. » Cette clause disparaît dans les baux consentis par la suite (le bailleur a changé). Un des locataires, titulaire d’un bail depuis l’ouverture de l’immeuble, demande que la clause soit retirée de son contrat. Face à la résistance du bailleur, il engage une procédure judiciaire et obtient gain de cause : son bail est maintenu mais la clause de non-concurrence est résolue (cass. civ., 3e ch., 3 mai 2007, n° 06-11591).

  • Action du voisin. Un acte de vente immobilière comporte une clause de non-concurrence qui interdit au vendeur d’exercer, sur la partie restant sa propriété, une activité concurrente de celle exercée par l’acheteur sur la partie vendue. Cette clause est reprise dans le bail commercial consenti sur la partie restée propriété du vendeur. Le voisin acheteur peut agir en responsabilité contre le locataire de son vendeur s’il ne respecte pas la clause de non-concurrence insérée dans le bail (cass. civ., 3e ch., 17 février 2010, n° 08-18752).

  • Salon de thé concurrencé par un salon de dégustation. Le propriétaire de deux locaux situés dans le même immeuble loue le premier pour une activité de salon de thé. Il loue ensuite le second local selon un bail qui interdit au locataire d’exploiter un commerce identique à celui de son premier locataire. Or, le second locataire vend des pâtisseries dans un salon de dégustation à la demande du premier locataire ; le second a été condamné à réparer le préjudice subi du fait du non-respect de la clause de non-concurrence (cass. civ., 3e ch., 13 juillet 2010, n° 09-67516).

Les droits des bénéficiaires d’une clause d’exclusivité

Les recours si un occupant exerce un commerce similaire

155

Lorsqu’un colocataire exerce un commerce similaire à celui d’un locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité, quels sont les recours du bénéficiaire de cette clause ?

Une réponse de principe ne peut être donnée, tant les situations sont complexes et diverses. Pour l’essentiel, il convient de retenir les solutions ci-après (voir §§ 156 à 158).

Le colocataire est tenu par une clause d’exclusivité qu’il a enfreinte

156

Le locataire qui subit le préjudice agira contre le bailleur commun pour non-respect des obligations contractuelles souscrites.

Le bailleur agira, à son tour, envers le colocataire fautif et l’appellera en garantie.

  • Responsabilité du preneur fautif. Engage sa responsabilité quasi délictuelle le locataire qui cause un préjudice à un tiers en ne respectant pas l’engagement de non-concurrence qu’il avait souscrit dans son bail (cass. com. 12 mars 1991, n° 89-10982).

    La clause d’un bail commercial, faisant suite à des baux antérieurs contenant la même clause, selon laquelle le preneur s’engage à respecter les commerces déjà existants dans l’immeuble ne peut pas servir de fondement au rejet de l’action en cessation de troubles de jouissance engagée par le preneur contre un colocataire (cass. civ., 3e ch., 7 novembre 1968, BC III n° 442).

  • Absence de bailleur commun. Le locataire victime d’une concurrence d’un colocataire ayant le même bailleur pourrait se prévaloir envers celui-ci d’une clause d’exclusivité réciproque et agir directement envers ce colocataire fautif sur le fondement d’une stipulation pour autrui.

    Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 février 1986 (Gaz. Pal. 1986.1.370) n’a pas admis cette action dans la mesure où l’exclusivité, en faveur de chacun des locataires de boutiques voisines, qui avait été prévue à l’origine n’avait pas été reprise dans le nouveau bail établi à la suite du décès des bailleurs d’origine, les deux locaux appartenant désormais à des bailleurs distincts.

  • Suppression de la clause d’exclusivité. Lorsqu’une clause prévoit au profit d’un locataire une interdiction d’exploiter telle ou telle activité par un autre colocataire, cette clause ne peut être supprimée qu’avec l’accord du locataire qui en bénéficie (cass. civ. 4 février 1986, Gaz. Pal. 1986.1.370). Au cas considéré, le bailleur de plusieurs locaux dans un même immeuble avait loué l’un d’entre eux pour un usage de pâtisserie-confiserie, avec interdiction de dépôt de pain ; un deuxième local était loué à un boulanger. Un avenant au bail du pâtissier supprimait l’interdiction d’exploiter un dépôt de pain.

Manquement du bailleur à ses engagements

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Dans l’hypothèse où le colocataire n’est lié par aucune clause de non-concurrence et qu’il exerce l’activité prévue au bail, aucune faute ne peut être retenue contre lui ; c’est la responsabilité éventuelle du bailleur qui sera retenue, en fonction des engagements qu’il a souscrits envers les autres locataires.

  • Vente de lots de copropriété. Un engagement de non-concurrence prévu dans le bail peut être invoqué par son bénéficiaire, même si le bailleur, propriétaire d’autres lots, n’a pas fait mention de cette obligation lors de la vente d’autres lots de copropriété (cass. civ., 3e ch., 7 mars 1984, n° 82-12495). La clause de non-concurrence insérée dans un règlement de copropriété doit être annulée comme imposant aux copropriétaires une restriction étrangère à la destination de l’immeuble, et donc contraire à l’article 8 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965 (cass. civ., 3e ch., 11 mars 1971, n° 69-12123) ; en revanche, la clause de non-concurrence insérée dans un acte de vente, ou prise par un copropriétaire envers son locataire, doit être respectée (cass. civ., 3e ch., 9 novembre 1982, n° 81-10353 ; cass. civ. 7 mars 1984, précité).

  • Locataire contraint de cesser son activité. Le locataire bénéficiaire d'une clause d'exclusivité est en droit de demander au bailleur de faire respecter celle-ci par un autre de ses locataires qui n'est pourtant pas partie au contrat contenant cette stipulation. À défaut, la violation de la clause d'exclusivité caractérise un trouble manifestement illicite justifiant que le bailleur soit condamné sous astreinte à faire cesser l'activité de son second locataire contraire à la clause d'exclusivité (cass. civ., 3e ch., 11 octobre 2018, n° 17-23902). En l'espèce, alors que le premier locataire bénéficiait d'une clause d'exclusivité pour l'exploitation d'un bowling et d'un pub, le second locataire avait ultérieurement ouvert un pub.

Le colocataire exerce une activité non autorisée par son bail

158

Si l’activité est similaire à celle exercée par un locataire en place, bénéficiaire d’une exclusivité, la Cour de cassation a admis que le commerçant bénéficiaire de l’exclusivité pouvait agir directement contre le locataire fautif, sur le fondement de l’action oblique (c. civ. art. 1166 et c. civ. art. 1341-1 à compter du 1er octobre 2016).

Le commerçant victime, bénéficiaire de la clause d’exclusivité, peut de toute évidence agir également envers le bailleur.

Non-respect de la destination prévue au bail. Même en l’absence de toute clause d’exclusivité, un locataire peut exercer, au nom du bailleur, une action contre un autre locataire ne respectant pas la destination contractuelle des lieux (cass. civ., 3e ch., 4 décembre 1984, n° 82-17005).

Clauses de non-concurrence au regard du droit de déspécialisation

Sanction des clauses faisant échec à la déspécialisation : réputées non écrites

159

Les clauses de non-concurrence ne doivent pas faire échec aux dispositions légales relatives à la déspécialisation des baux, qui permet l’adjonction d’activités connexes ou complémentaires, voire le changement total d’activité (voir §§ 451 à 477).

Depuis la loi 2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi Pinel », l'article L. 145-15 du code de commerce déclare non écrites toutes clauses ou stipulations qui auraient pour effet d’empêcher le jeu de ces dispositions (dans sa version antérieure, la sanction prévue à l'article L. 145-15 du code de commerce était la nullité, voir § 42). Il convient toutefois de distinguer entre la déspécialisation plénière et partielle.

Enseigne unique. A été annulée la clause d’enseigne imposant au locataire d’exercer son activité sous telle enseigne précise, ne lui permettant pas de faire valoir son droit à déspécialisation partielle, par adjonction d’activités connexes (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 2000, n° 98-21671).

Déspécialisation plénière

160

La procédure instaurée par les textes prévoit la notification aux locataires bénéficiant d’une clause d’exclusivité ; les locataires intéressés peuvent donc intervenir à l’instance et faire valoir leurs droits (voir § 467).

Déspécialisation partielle

161

Aucune procédure envers les locataires n’est prévue (voir § 458).

Toute clause limitant l’activité du preneur, ou conférant une exclusivité, devient pour partie inefficace face à une demande de déspécialisation partielle par un autre locataire (voir, notamment, cass. civ., 3e ch., 1er février 1978, n° 76-12490).

Ainsi, la Cour suprême approuve les juges du fond en ce qu’ils ont décidé que le locataire ne pouvait se fonder sur la clause d’exclusivité contenue dans son bail pour s’opposer à une déspécialisation partielle, fortement contestée (lingerie de luxe transformée en prêt-à-porter pour dames) émanant d’un autre locataire, compte tenu du caractère d’ordre public des règles applicables à la déspécialisation (cass. civ., 3e ch., 24 octobre 1984, n° 83-11433).

  • Responsabilité du bailleur. Le bailleur ne saurait être tenu pour responsable, envers le locataire bénéficiaire de la clause, en cas de demande d’extension d’activité par un autre colocataire, du fait qu’il ne peut invoquer la clause d’exclusivité afin de refuser l’extension (voir, notamment, cass. civ., 3e ch., 9 janvier 1969, JCP éd. G 1970.II.16284).

  • Peu importe la clause de non-concurrence. Dans un ensemble immobilier dédié à l'automobile, un bailleur donne à bail des locaux commerciaux à un preneur qui s'engage à ne pas exercer l'activité de vente et de pose de pneumatiques. En échange, le bailleur lui garantit l'exclusivité des activités de vente et de pose d'échappements et d'amortisseurs. Invoquant cette clause, le bailleur refuse la demande de déspécialisation partielle de la société locataire, qui souhaite étendre son activité à la vente, pose et réparation de pneumatiques. Les juges lui donnent raison car l'extension d'activité de la société locataire viole son engagement de non-concurrence. La Cour de cassation censure : le bailleur ne peut pas se retrancher derrière la clause de non-concurrence du bail pour refuser la déspécialisation partielle (cass. com. 15 février 2012, n° 11-17213).

  • Remboursement des sommes versées. Le colocataire ou le tiers qui était bénéficiaire d’un engagement d’exclusivité anéanti par la demande de déspécialisation plénière d’un autre locataire peut demander au bailleur de lui rembourser les sommes qu’il lui a versées en contrepartie d’un engagement d’exclusivité (cass. com. 5 octobre 1981, n° 80-11076).

    De même, le locataire pourrait demander une indemnité correspondant au pas-de-porte qu’il aurait payé en contrepartie de la clause d’exclusivité (CA Paris 16 juin 1977, Rev. loyers 1972, p. 473).

  • Souscription d’un engagement de non-concurrence par le preneur. Le locataire peut aussi avoir souscrit un engagement de non-concurrence dans le bail en s’engageant soit à ne pas concurrencer un autre locataire, soit à ne pas exercer une activité réservée à un tiers.