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Parution: avril 2022

L'arrivée du terme

Le droit de repentir du bailleur

Mise en œuvre

Fondement du droit de repentir

811

Ce droit du bailleur est désigné sous le vocable de droit de résipiscence, droit de repentir ou droit de rétractation. Il est un complément indispensable de la procédure de refus de renouvellement en permettant à un bailleur de rétracter sa décision de refus de renouvellement et en acceptant de renouveler le bail.

Le bailleur utilisera ce droit de repentir soit parce qu’il estime l’indemnité trop élevée, soit parce qu’il n’entend pas récupérer les locaux ; ainsi, il n’aura pas à payer l’indemnité. Toutefois, ce droit de repentir ne peut être exercé que pendant un certain délai et dans la mesure où le locataire est encore dans les lieux (voir § 812).

Ce droit de repentir est distinct du droit d’option offert au bailleur et au locataire après la fixation judiciaire des conditions du bail renouvelé ; le bailleur pouvant, au vu de ces conditions, refuser le renouvellement, à charge d’indemniser le locataire et de supporter tous les frais (voir § 627).

  • Renouvellement du bail aux mêmes conditions. L’indemnité d'éviction ayant été judiciairement fixée à près de 1,6 M€, le propriétaire d'un local situé dans un centre commercial exerce son droit de repentir en consentant au renouvellement du bail aux mêmes conditions que l’ancien. Ce droit de repentir ne peut pas être contesté par le locataire même si la situation du centre a changé depuis la signature du bail initial, de nombreux locaux ayant été fermés (cass. civ., 3e ch., 9 juillet 2020, n° 18-25329).

  • Refus de renouvellement sans indemnité. Le droit de repentir n’est pas nécessairement lié à un refus de renouvellement avec indemnité d’éviction. Il peut également être exercé par le bailleur qui a refusé de renouveler le bail sans indemnité (cass. civ., 3e ch., 30 novembre 2005, n° 04-19703).

Délai et modalités

812

« Le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision sera passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité, à charge, pour lui, de supporter les frais de l’instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. » (c. com. art. L. 145-58).

Pour que le délai de 15 jours puisse courir, il faut que les parties aient eu connaissance de la date à laquelle est rendue la décision fixant l’indemnité d’éviction (cass. civ., 3e ch., 13 juin 2001, n° 99-18073).

Pour exercer son droit de repentir, le propriétaire n’est pas tenu d’attendre que la décision fixant l’indemnité soit définitive. Ce droit peut être exercé par anticipation en cours d’instance ou après le dépôt du rapport de l’expert (cass. civ., 3e ch., 4 avril 1962, BC III n° 210) ; il peut même le faire avant la fixation de l’indemnité.

  • Arrêt d’appel. Un arrêt d’appel ayant autorité de la chose jugée dès son prononcé, le délai de repentir court à compter de la date du prononcé de l’arrêt (et non à compter de sa signification) (cass. civ., 3e ch., 29 septembre 1999, nos 96-17280 et 97-13423).

  • Paiement des frais. L’exercice du droit de repentir emporte obligation du bailleur au paiement des frais de procédure ; a été censuré l’arrêt considérant que les frais de l’instance sont uniquement les frais de procédure taxables (cass. civ., 3e ch., 27 mars 2002, n° 00-22534) ; les frais d’avocat peuvent donc être retenus.

Conditions d’exercice et conséquences

Deux conditions légales

813

Le droit de repentir ne peut, en principe, être exercé qu’autant (c. com. art. L. 145-58) :

-que le locataire est encore dans les lieux ;

-et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation.

La Cour de cassation a tout d'abord suivi à la lettre l'article L. 145-58 du code de commerce et considéré que l'absence de l'une des deux conditions faisait obstacle au droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 18 juillet 2000, n° 99-10791). Elle a ensuite fait évoluer sa position en considérant que l'engagement par le locataire d'un processus irréversible de départ des lieux faisait obstacle au droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 1er octobre 2014, n° 13-17114). Les jurisprudences citées ci-après illustrent cette évolution (voir §§ 814 et 815).

Usufruit. En cas de démembrement de la propriété des locaux, l'usufruitier ne peut pas exercer seul le droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 31 mai 2012, n° 17534).

Départ du locataire

814

Dans l’hypothèse où le locataire est parti, sans renoncer à son droit à indemnité, le propriétaire ne peut plus revenir sur son refus de renouvellement et offrir un nouveau bail portant sur les mêmes locaux (cass. civ., 3e ch., 7 janvier 1971, n° 68-12552).

  • Congé à l’avance. Le propriétaire ne peut exercer son droit de repentir lorsque le congé a été donné longtemps à l’avance et si le départ a précédé la date d’effet du congé (cass. civ., 3e ch., 9 novembre 1981, n° 80-12972).

  • Départ régulier. Il faut un départ régulier apprécié souverainement par les juges du fond (cass. civ., 3e ch., 17 janvier 1979, n° 77-12115) ; tel n’est pas le cas d’un départ hâtif du locataire désirant faire échec au droit de repentir du bailleur qui subsiste alors (cass. civ., 3e ch., 15 mai 1991, n° 89-18132).

  • Déménagement en cours. Au jour de l’exercice du droit de repentir, les opérations de déménagement entreprises par le locataire doivent être terminées et les clés des locaux loués doivent être restituées (cass. civ., 3e ch., 27 novembre 2002, n° 01-12308 ; cass. civ., 3e ch., 31 mai 2018, n° 17-14179).

    Toutefois, il a été jugé que le bailleur ne pouvait plus exercer son droit de repentir lorsque le locataire lui avait remis toutes les clés sans réserve, le local étant vide de marchandises, quand bien même quelques meubles resteraient dans les locaux (cass. civ., 3e ch., 2 février 2000, n° 97-21480).

    De même, le bailleur ne peut pas invoquer son droit de repentir lorsque le locataire est engagé dans un processus irréversible de départ. Peu importe que la libération des lieux loués ne soit pas complète et que les clés ne soient pas encore restituées (cass. civ., 3e ch., 10 mars 2010, n° 09-10793).

  • Remise des clés après l'exercice du droit de repentir. La remise des clefs par le locataire 5 mois après la notification du repentir ne remet pas en cause celui-ci (cass. civ., 3e ch., 15 février 1995, n° 92-16237).

    La remise des clefs quelques jours après l'exercice du droit de repentir remet en cause celui-ci, dès lors que le locataire était engagé, lorsque le bailleur a exercé son droit, dans un processus irréversible de départ. Peu importe que le bailleur n'en ait pas eu connaissance (cass. civ., 3e ch., 15 décembre 2021, n° 21-11634).

Locataire en place qui a loué ou acheté

815

L’autre hypothèse visée par le texte est celle où le locataire est toujours dans les lieux, mais ce locataire a déjà loué ou acheté un autre local. Le droit de repentir est alors mis en échec (cass. civ., 3e ch., 28 mars 1979, n° 77-14744).

Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que la location, ou l’acquisition, ait acquis date certaine avant la notification du droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 29 juin 1976, n° 74-13639 ; cass. civ., 3e ch., 13 juin 2007, n° 06-14856), sauf si le bailleur a eu connaissance de l’acte.

  • Absence de date certaine. L’acte de location ou d’achat peut être opposé au bailleur, même en l’absence de date certaine, chaque fois que la preuve de la connaissance par le bailleur de la réalité des dispositions prises par le locataire pour se réinstaller est rapportée (cass. civ., 3e ch., 14 mars 1972, n° 71-10625), sans qu’il puisse être exigé, dans ce cas, la communication de l’acte passé à cette fin (cass. civ., 3e ch., 28 mai 1986, n° 83-15379).

  • Promesse de vente. La levée d’option d’une promesse de vente d’un terrain par simple lettre effectuée avant l’exercice du droit de repentir du bailleur n’a pas date certaine dans la mesure où l’acte authentique de vente n’a été signé que postérieurement à l’exercice du droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 20 décembre 2000, n° 99-12391).

  • Acquisition par acte authentique. Lorsque l’acquisition a été faite par acte notarié, les juges du fond n’ont pas à rechercher si le bailleur en a eu connaissance (cass. civ., 3e ch., 13 novembre 2002, n° 98-18784).

  • Compromis sous condition suspensive. N’a pas été validé le droit de repentir d’un bailleur exercé après la signature d’un compromis d’achat d’un fonds de commerce sous conditions suspensives dans la mesure où les conditions rétroagissent au jour où le compromis a été signé (cass. civ., 3e ch., 18 janvier 1995, n° 92-21713).

  • Construction. Lorsque le locataire a pris l’initiative de construire un immeuble pour y transférer ses activités en conservant sa clientèle, le droit de repentir ne peut plus s’exercer (cass. civ., 3e ch., 26 janvier 1994, n° 91-20011).

  • Sous-location conclue devant notaire. Le bailleur exerce son droit de repentir le 20 juin 2003. Le locataire quitte les lieux le 3 décembre 2004, mais il avait signé, devant notaire, un contrat de sous-location le 16 avril 2003. Cette sous-location fait échec au droit de repentir du bailleur (CA Paris, 16e ch. B, 22 mars 2007, Gaz. Pal. 25 et 26 juillet 2007, p. 36).

  • Le bailleur est une société commerciale. Lorsque le bailleur est une société commerciale, le locataire peut prouver par tous moyens qu'il a signé un autre bail (c. com. art. L. 110-3). L'enregistrement du nouveau bail n'est pas nécessaire (cass. civ., 3e ch., 29 novembre 2005, n° 04-11321).

  • Le bailleur est une SCI. Lorsque le bailleur est une SCI, les règles du code civil s'appliquent : le locataire doit faire la preuve de la date du nouveau bail dans les conditions prévues par l’article 1377 du code civil (anciennement art. 1328), c’est-à-dire, par la date d’enregistrement du bail lorsqu'il n'est pas notarié. À défaut, je bailleur peut exercer son droit de repentir (cass. civ., 3e ch., 13 juin 2007, n° 06-14856).

Situation du locataire jusqu’au repentir

Maintien du locataire dans les lieux

816

Après l’expiration du bail à la suite d’un congé avec refus de renouvellement, et jusqu’à la notification au preneur de la renonciation du bailleur aux effets du congé, le preneur est maintenu dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré (cass. civ., 3e ch., 5 février 1997, n° 96-15336).

Indemnité d’occupation due par le preneur

817

Le locataire doit une indemnité d’occupation pendant la période comprise entre l’expiration du bail et l’exercice du droit de repentir.

Cette indemnité doit être déterminée conformément à l’article L. 145-28 du code de commerce (cass. civ., 3e ch., 11 juin 1997, n° 95-18873) ; elle n'est donc pas soumise à la règle du plafonnement et doit être fixée à la valeur locative (cass. civ., 3e ch., 17 juin 2021, n° 20-15296) (voir § 800).

Prescription. Un bailleur refuse la demande de renouvellement du locataire, sans offrir le paiement d'une indemnité d'éviction. Le locataire obtient en justice que soit fixée une indemnité d'éviction. Le bailleur exerce alors son droit de repentir et réclame le paiement d'une indemnité d'occupation. Les juges déclarent sa demande prescrite car présentée plus de 2 ans après l'expiration du bail. Cette décision est censurée par la Cour de cassation : le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'occupation ne peut commencer à courir avant le jour où est définitivement consacré, dans son principe, le droit du locataire au bénéfice d'une indemnité d'éviction (cass. civ., 3e ch., 18 janvier 2018, n° 16-27678).

Le nouveau bail du locataire

Date d’effet du nouveau bail

818

Lorsque le bailleur aura notifié, soit par le congé, soit par le refus de renouvellement, son intention de ne pas renouveler le bail et si, par la suite, il décide de le renouveler, le nouveau bail prend effet à partir du jour où cette acceptation aura été notifiée au locataire par acte extrajudiciaire ou lettre recommandée avec accusé de réception (c. com. art. L. 145-12).

L’exercice du droit de repentir du bailleur est sans influence sur la durée du bail initial auquel il a été mis fin par un congé avec refus de renouvellement (cass. civ., 3e ch., 16 mars 1982, n° 80-15166 ; cass. civ., 3e ch., 14 novembre 1984, n° 83-13257).

  • Caractère irrévocable du droit de repentir. La décision du propriétaire de se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction en exerçant son droit de repentir a un caractère irrévocable (c. com. art. L. 145-59) (pour un exemple, cass. civ., 3e ch., 4 juillet 2012, n° 11-19043). Ainsi, l'exercice du droit de repentir fait obstacle à la poursuite d'une instance visant à résilier le bail (cass. civ., 3e ch., 24 janvier 2019, n° 17-11010).

  • Condition de la réinstallation. Aucune réinstallation à l’identique n’est exigée par les textes (cass. civ., 3e ch., 15 mars 2000, n° 98-19831).

Loyer du bail renouvelé et droit d'option du locataire

819

Lorsque, après exercice du droit de repentir, il y a lieu de fixer le loyer du nouveau bail à la valeur locative, celle-ci doit être appréciée rétroactivement à la date de report du point de départ du nouveau bail (voir § 640).

Mais le locataire peut renoncer au renouvellement, notamment lorsque le loyer fixé judiciairement est trop élevé ; il exercera, dans ce cas, le droit d’option prévu à l’article L. 145-57 du code de commerce (voir § 627) ; ce droit d’option peut en effet s’exercer après le droit de repentir du bailleur (cass. civ., 3e ch., 17 juillet 1997, n° 95-21979).

La clause recette est maintenue. Un propriétaire exerce son droit de repentir en proposant à son locataire une modification du bail initial, à savoir substituer à la clause recette du bail initial une clause de loyer fixe dans le nouveau bail. La Cour de cassation désapprouve : l'exercice du bailleur de son droit de repentir emporte renouvellement du bail et ne peut comporter la proposition d'un nouveau bail incluant une modification substantielle des modalités de fixation du loyer (cass. civ., 3e ch., 12 septembre 2019, n° 18-18218).