Les contestations liées au statut
Extension d’activité : déspécialisation partielle
Procédure d’autorisation
Adjonction d’activités connexes ou complémentaires
« Le locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. » (c. com. art. L. 145-47). L’adjonction régulière d’activités au cours des trois dernières années du bail ne remettra pas en cause le droit au renouvellement du preneur (voir § 477) ; de même, la cessation d’activité pendant la période de déspécialisation ne sera pas une cause de résiliation (voir § 474).
Déspécialisation et franchise. A été annulée la clause de destination d’un bail commercial signé simultanément avec une cession du fonds de commerce et une franchise formant un tout, dans la mesure où l’obligation imposée au preneur d’exercer son activité sous telle enseigne précise ne lui permettait pas de faire valoir son droit à déspécialisation partielle (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 2000, n° 98-21671).
Clause de non-concurrence. Une clause de non-concurrence inscrite dans un bail ne peut pas empêcher le locataire d’ajouter des activités connexes ou complémentaires à celle prévue à son bail (cass. civ., 3e ch., 15 février 2012, n° 11-17213).
Procédure à suivre
Demande préalable au bailleur
Le preneur doit, avant de procéder à toute extension d’activité, faire connaître ses intentions au propriétaire par exploit d’huissier ou lettre recommandée avec avis de réception, en précisant les activités dont l’exercice est envisagé (c. com. art. L. 145-47). Ces formes s’imposent au preneur sous peine de résiliation du bail (voir §§ 521 et 527).
Lettre recommandée AR. Si le preneur choisit d'utiliser la lettre recommandée AR, la date de notification est à son égard celle de l'expédition de la lettre et, à l'égard du bailleur, celle de la première présentation de la lettre. Si la lettre n'a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte d'huissier (c. com. art. R. 145-38).
Bail non renouvelé. Un locataire dont le bail n’a pas été renouvelé est sans qualité pour demander une autorisation d’extension de commerce (cass. civ., 3e ch., 14 février 1969, BC III n° 142).
Délai de réponse du bailleur
La notification vaut mise en demeure du bailleur de préciser dans un délai de 2 mois, à peine de déchéance, s’il conteste le caractère connexe ou complémentaire des activités envisagées (c. com. art. L. 145-47).
Le bailleur qui entend refuser l’extension doit impérativement contester dans le délai de 2 mois le caractère connexe ou complémentaire de l’activité projetée ; à défaut, l’extension est acquise au locataire.
Forme de la réponse. Le propriétaire n’est pas tenu de respecter une forme particulière (cass. civ., 3e ch., 23 avril 1974, n° 73-11437).
Contestation du bailleur
Le bailleur ne peut pas se borner à s’opposer à l’extension ; il doit contester le caractère connexe ou complémentaire (cass. civ., 3e ch., 1er février 1978, n° 76-12490).
En cas d’opposition, il appartient à la partie la plus diligente de saisir le tribunal judiciaire (c. com. art. L. 145-47). Le juge du fond dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour l’appréciation du caractère connexe ou complémentaire (cass. civ., 3e ch., 13 février 1973, n° 71-14033). Il tient compte de l’évolution des usages commerciaux mais aussi des progrès techniques. L’évolution des usages commerciaux peut être établie par des attestations des chambres professionnelles.
À défaut de jugement favorable, le locataire se verra interdire les activités projetées, sauf pour lui à recourir à la procédure de la déspécialisation plénière, s’il le peut (voir § 461).
Contestation sans motif. Une société donne des locaux à bail à une autre société pour l'activité d'entretien et de réparation automobile. Dans le bail, la locataire s'engage à ne pas vendre ni poser des pneumatiques et le bailleur s’engage à ne pas la concurrencer sur les échappements et les amortisseurs. Des années plus tard, la locataire signifie au bailleur une demande d'extension d'activité pour la vente et la pose de pneumatiques. Le bailleur refuse, sans motivation, dans le délai de 2 mois et la locataire porte alors l’affaire en justice. Selon la locataire, faute d’avoir motivé son refus, le bailleur ne pourrait plus contester le caractère connexe de l’activité envisagée. Cette nouvelle activité ne pourrait donc qu’être autorisée. L’argument est repoussé par les juges : le bailleur n'est pas tenu de motiver sa contestation, l’important est qu’il manifeste de façon non équivoque son refus dans le délai de 2 mois (cass. civ., 3e ch., 9 février 2017, n° 15-28759).
Caractère connexe ou complémentaire de l’activité projetée
Absence de définition légale
Il n’existe pas de définition légale de ce caractère ; les juges l’apprécient en fonction de chaque cas d’espèce.
Critères des juges. Sont connexes à une activité celles qui ont un rapport étroit avec elle ; sont complémentaires celles qui sont nécessaires à un meilleur exercice de l’activité principale (CA Paris 17 mars 1990, D. 1990, 97).
Non-prépondérance de la nouvelle activité. Une activité connexe ou complémentaire ne nécessite pas qu’elle soit prépondérante par rapport à l’activité ancienne (cass. civ., 3e ch., 24 octobre 1984, n° 83-11433).
Matière première commune. Pour que deux commerces soient connexes ou complémentaires, il ne suffit pas qu’il y ait à la base une matière première commune (cass. civ., 3e ch., 29 octobre 1970, n° 69-11211).
Exemples de jurisprudence
Nous donnons ci-après quelques exemples d’acceptation et de rejet du caractère connexe ou complémentaire de certaines activités. En fait, il n’est pas toujours facile de préjuger la position qu’adoptera un tribunal dans chaque cas d’espèce, d’autant que les usages commerciaux évoluent sans cesse en fonction des besoins de la clientèle et que les anciennes boutiques spécialisées tendent à disparaître au profit de magasins à rayons multiples, tels que les supermarchés, petites surfaces, etc. Les usages locaux sont également prépondérants. Les clauses plus ou moins ambiguës du bail peuvent aussi dicter la solution (voir § 460).
Commerces de bouche considérés comme des extensions normales :
-la vente de produits alimentaires dans une station-service (CA Versailles 21 février 1991, Loyers 1991, n° 441) ;
-la vente de produits frais pour un commerce de surgelés (CA Versailles 28 octobre 1988, Gaz. Pal. 1989, 122) ;
-la vente de boissons non alcoolisées, quiches lorraines, croque-monsieur, pizzas est inhérente à la conception moderne d’une boulangerie pâtisserie (CA Versailles 12 janvier 1995, Sem. jur. 1995, 2324 ; cass. civ., 3e ch., 3 avril 1996, n° 94-13789), mais un autre arrêt de la Cour de cassation a refusé la vente de boissons pour une boulangerie (cass. civ., 3e ch., 21 novembre 1995, n° 93-19398) ;
-la vente de vins, œufs, saucissons et poulets adjoints à un commerce saisonnier de fruits et légumes (CA Nîmes 11 juin 1997, Loyers 1999, n° 38).
Commerces de bouche qui ne constituent pas des activités connexes :
-le commerce de dégustation de produits dont la vente est seulement autorisée (en l’espèce, thé, café, chocolat). En effet, pour que deux commerces soient connexes ou complémentaires, il ne suffit pas qu’il y ait à la base une matière première commune (cass. civ., 3e ch., 29 octobre 1970, n° 69-11211) ;
-la vente de confiserie, chocolats, glaces n’est pas connexe ou complémentaire de l’activité de boulanger (cass. civ., 3e ch., 16 janvier 1973, n° 71-14165 ; contra : CA Poitiers 24 novembre 1969, AJPI 1970, 1217) ;
-la vente de crêpes pour une activité de croissanterie, briocherie, viennoiserie, jus de fruits et glaces (cass. civ., 3e ch., 28 mai 2003, n° 02-11155) ;
-la vente de volailles et de poissons est une activité distincte du commerce d’épicerie, de primeurs et comestibles (cass. civ., 3e ch., 20 février 1969, BC III n° 160) ; il en est de même de l’activité de boucherie-charcuterie (CA Colmar 5 avril 1991, Loyers 1992, n° 126) ;
-l’activité de charcuterie et de « boucherie-triperie-volaille ». Si dans certains cas, les activités de boucherie et de charcuterie sont exercées cumulativement, elles gardent l’une et l’autre leur spécificité excluant toute notion de connexité et complémentarité de l’une par rapport à l’autre (CA Paris 5 juillet 1984, Loyers 1984, n° 385 ; CA Paris 11 décembre 1991, Loyers 1992, n° 260) ;
-l’activité consistant à préparer et vendre des plats cuisinés par un boucher-charcutier (CA Aix-en-Provence 4 mars 1982, Ann. Loyers 1983, 414). Toutefois, il peut être éventuellement soutenu que le commerce de traiteur est connexe ou complémentaire de celui de boucher (CA Paris 8 novembre 1989, Loyers 1990, n° 83) ;
-l’activité de revente de charcuterie et de plats régionaux et la vente de poulets, qui ne sont ni connexes ni complémentaires de celle de boucherie chevaline (cass. civ., 3e ch., 26 novembre 1991, n° 90-16149).
Vêtements et activités connexes admises. Ont été considérés comme des extensions normales :
-le nettoyage à sec pour une blanchisserie faisant jusqu’alors du lavage au poids (cass. civ., 3e ch., 13 février 1973, n° 71-14033) ;
-la vente de vêtements de peau par un fourreur (CA Colmar 22 mai 1970, Quot. jur. 25 décembre 1971) ;
-la vente de vêtements homme et femme, confection pour une activité de fournitures pour tailleurs et bobinage de fils (cass. civ., 3e ch., 18 juillet 1979, Gaz. Pal. 1979, 480) ;
-la confection, prêt-à-porter pour dames pour un commerce de gaines, soutiens-gorge, chemisiers, bonneterie et sous-vêtements (cass. civ., 3e ch., 24 octobre 1984, n° 83-11433).
Vêtements et activités non connexes. Ne sont pas des activités connexes :
-la vente de sacs à main et de gants en cuir chez un tailleur ou dans un magasin de confection (CA Rouen 6 mai 1969, Gaz. Pal. 1969 somm. 42) et la vente de chaussures dans un magasin de prêt-à-porter et fourrures (CA Paris 3 avril 1992, Loyers 1992, n° 261) ;
-la vente de sacs à main, ceintures et objets de maroquinerie n’est pas une activité connexe et complémentaire de la vente de chaussures, sauf si ces articles sont spécialement coordonnés en ce qui concerne la matière et les coloris avec les modèles de chaussures en vente dans la boutique (CA Paris, 16e ch., 25 novembre 1974, Gaz. Pal. 1975, 100 ; CA Paris 5 décembre 1989, D. 1990, 1) ;
-la vente de montres pour un commerce de vêtements (cass. civ., 3e ch., 16 octobre 1990, n° 89-16185) ;
-la vente d’articles de soierie, broderie, passementerie, cotonnades et laines, alors que le commerce de bonneterie, confection, layette et mercerie était seul prévu au bail (cass. civ., 3e ch., 22 février 1978, Gaz. Pal. 1978, 164).
Restauration et extensions admises. Ont été considérés comme des extensions normales :
-le service d’un buffet froid ou chaud accompagnant la consommation de boissons chez un « marchand de vins-cafetier » (CA Paris 20 novembre 1973, Gaz. Pal. 1974, 176) ;
-l’activité de traiteur, qui couvre celle de restaurateur (CA Paris 17 octobre 1995, Loyers 1996, n° 25). L’activité de restauration rapide pour une activité de café-bar dans la mesure où cette activité ne nécessitait pas d’aménagements importants et visait la même clientèle (cass. civ., 3e ch., 19 juillet 2000, n° 99-11904) ;
-l’activité d’hôtel meublé et de bar à celle de piano-bar et karaoké (cass. civ., 3e ch., 17 juillet 1996, n° 94-19784).
Restauration et activités non connexes. Ne sont pas des activités connexes :
-l’installation d’un établissement de plats à emporter pour un commerce de restauration et brasserie (CA Paris 3 mai 1990, Sem. jur. éd. E 1990, n° 15923, § 26-1). Toutefois, cette extension a été admise pour un café-bar, voir ci-avant. Par ailleurs, durant la crise sanitaire, les restaurants soumis à l'interdiction d'accueillir du public ont pu rester ouverts pour effectuer, de manière dérogatoire, des activités de livraison et de vente à emporter (décret 2020-1310 du 29 octobre 2020, art. 40) ;
-le passage d’une restauration sous la forme de « saladerie-sandwicherie » à celle sous la forme de pizzeria de nature à engendrer des odeurs pouvant, le cas échéant, incommoder le voisinage (cass. civ., 3e ch., 18 juin 2002, n° 00-21216) ;
-le commerce de restaurateur ou celui de préparateur et vendeur de plats du jour qui n’est ni connexe ni complémentaire de celui de débitant de boissons (CA Paris 13 mars 1990, D. 1990 IR 82 ; cass. civ., 3e ch., 28 mai 1997, n° 95-17869) ;
-l’adjonction d’une discothèque night-club à l’activité du fonds de commerce de café-bar-restaurant (CA Bordeaux 22 avril 1986, Loyers 1986, n° 386).
Bar et musique. La cour d’appel de Toulouse a jugé que l’activité de bar musical n’était ni connexe ni complémentaire de l’activité de bar, brasserie et glacier (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 13 avril 2006, Sem. jur. 2006, 3119). En revanche, la cour de Dijon a considéré que l’activité de soirées dansantes était connexe ou complémentaire de l’activité de bar et restaurant (CA Dijon, ch. civ. B, 2 mars 2006, sem. jur. 2006, 2878).
Activités diverses donnant lieu à des extensions. Ont été considérées comme des extensions normales :
-la vente de disques dans une librairie, le livre et le disque étant deux éléments complémentaires de la culture (TGI Seine 22 mai 1967, Rev. loyers 1967, 446) ;
-la vente de petits cadeaux pour un toiletteur pour animaux (cass. civ., 3e ch., 4 mars 1992, n° 90-20332) ;
-la vente accessoire de produits diffusés par une filiale de la SEITA, tels que voitures miniatures, poupées, stylos pour un débit de tabac (CA Paris 22 avril 1997, D. Affaires 1997, p. 1212) ;
-la vente de produits homéopathiques, vétérinaires et la parapharmacie pour le commerce de pharmacie (CA Paris 13 novembre 1996, Administrer janvier 1997, 29) ;
-l’activité de chauffage pour un plombier (cass. civ., 3e ch., 13 janvier 1999, n° 96-20408).
Activités diverses et refus d’extension. Ne sont pas des activités connexes :
-l’exécution de réparations alors que l’activité prévue au bail est celle de garage de véhicules avec poste d’essence (cass. civ., 3e ch., 17 mars 1971, n° 69-14324) ;
-la vente de confiseries et produits régionaux pour un commerce de bazar au sens large du terme (CA Dijon 27 mars 1991, Loyers 1992, n° 125) ;
-le commerce de cadeaux, bijoux de fantaisie, tableaux et gadgets, qui ne peut être considéré comme annexe de l’activité de droguerie (CA Amiens 14 avril 1976, Quot. jur. 22 janvier 1977) ;
-la vente d’appareils photographiques, le développement automatique de photos, la vente de montres et réveils, qui ne sont pas complémentaires du commerce d’électroménager (CA Caen 30 janvier 1996, Loyers 1996, n° 270).
Effets de la déspécialisation
Conséquences sur le prix du loyer
Lorsqu’un accord est intervenu pour l’adjonction d’activité connexe, aucune augmentation immédiate du loyer n’est prévue par les textes. Ce n’est que lors de la première révision triennale qui suivra la notification d’extension d’activité faite par le preneur que le bailleur pourra tenir compte, pour la fixation du prix, des activités adjointes, si celles-ci ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués (c. com. art. L. 145-47, al. 3).
Cette disposition constituant une dérogation au principe de l’article L. 145-38, il en résulte implicitement que, non seulement le propriétaire est en droit de majorer le loyer sans se référer à l'évolution de l'indice, mais encore qu’il n’a pas à justifier que l’extension d’activité a augmenté la valeur des lieux loués de plus de 10 %.
Majoration immédiate du loyer : nullité. Les dispositions de l’article L. 145-47 relatives à l’augmentation du loyer sont d’ordre public et ne peuvent être écartées que par une renonciation intervenant une fois acquis le droit à la déspécialisation (cass. civ., 3e ch., 19 mai 2004, n° 03-11303) ; au cas considéré, un avenant au bail avait autorisé le locataire d’un café PMU d’adjoindre les activités de tabac, journaux, loterie moyennant une augmentation immédiate du loyer ; le locataire ne payant pas le nouveau loyer, le bailleur a délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire, mais le locataire a invoqué la nullité de l’avenant.
Preuve de la modification de la valeur locative. La preuve que les activités adjointes ont bien entraîné une modification de la valeur locative des lieux doit être rapportée. Le bailleur ne peut augmenter le loyer dû par le preneur dès lors que l’adjonction d’activités commerciales nouvelles n’a pas entraîné de réelle modification de la valeur locative des lieux loués, les chiffres d’affaires du fonds de commerce en cause étant restés sensiblement les mêmes depuis l’adjonction (CA Poitiers 7 avril 1993, Loyers 1994, n° 438).
La nouvelle activité, même si elle n’est pas immédiatement rentable, ouvre un nouveau marché au preneur par sa diversification et les juges du fond peuvent tenir compte de cet élément pour fixer le loyer de révision sur la base de la valeur locative (CA Paris 28 février 1992, Loyers 1993, n° 29).
Absence d’autres indemnités. La majoration de loyer est la seule compensation prévue au profit du propriétaire ; celui-ci ne peut prétendre à aucune autre forme d’indemnité, et notamment au règlement d’une somme d’argent.
Renouvellement du bail. Lorsque le changement intervenu constitue une modification notable des éléments de la valeur locative, le bailleur pourra demander le déplafonnement du loyer renouvelé (voir § 673). Par ailleurs, les activités autorisées auront une incidence sur la fixation de l’indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement.
Autorisation de travaux. Certaines autorisations sont à demander pour l’exécution des travaux liés à la transformation (voir § 475).
Droit de rétractation. Au vu des incidences financières, le preneur peut se rétracter dans les 15 jours de la décision (voir § 476).
Protection des tiers
L’extension d’activité pourra être admise nonobstant les droits des tiers, notamment des autres locataires envers lesquels le bailleur aurait souscrit un engagement de non-concurrence.
Cette absence de protection des tiers est une différence importante par rapport à la déspécialisation plénière. Toute clause limitant l’activité du preneur ou conférant une exclusivité devient pour partie inefficace face à une demande de déspécialisation partielle par un autre locataire (voir, notamment, cass. civ., 3e ch., 1er février 1978, n° 76-12490).
Clause d’exclusivité. Le locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité consentie par le bailleur n’est pas fondé à reprocher au bailleur de n’avoir pas contesté dans le délai légal le caractère connexe ou complémentaire de l’activité envisagée par un colocataire, dès lors que ce caractère est établi (cass. civ., 3e ch., 24 octobre 1984, n° 83-11433 ; dans le même sens, cass. civ., 3e ch., 9 janvier 1969, BC III n° 32).
Toutefois, compte tenu de l’incertitude de la décision sur le caractère connexe ou complémentaire, le bailleur qui a consenti une exclusivité aura intérêt à s’opposer à l’extension projetée.
Motifs de refus d’extension. Pour justifier le refus d’extension opposé par le bailleur, la jurisprudence a cependant pris en considération :
-les dispositions du règlement de copropriété qui interdisent l’activité envisagée (CA Aix-en-Provence 12 février 1985, Loyers 1986, n° 341) ;
-la respectabilité des lieux, leur sauvegarde pour des bâtiments anciens et la tranquillité de l’environnement (CA Bordeaux 22 avril 1986, Loyers 1986, n° 386).
Le bailleur est mis devant le fait accompli
Les actions du bailleur
Face à une extension d’un commerce sans mise en œuvre au préalable de la procédure d’autorisation du bailleur, ce dernier a plusieurs actions à l’encontre du locataire.
Cessation de l’activité non autorisée. Lorsque le preneur n’a pas sollicité l’autorisation, le bailleur est fondé à lui faire sommation de cesser l’activité non prévue au bail (cass. civ., 3e ch., 27 novembre 1970, n° 69-12468) ; les juges peuvent interdire cette adjonction irrégulière d’activité (cass. civ., 3e ch., 16 novembre 1971, n° 70-12623).
Résiliation du bail. Toute extension de la destination des lieux sans autorisation préalable du bailleur, ou à défaut du tribunal, constitue un manquement pouvant être sanctionné par la résiliation judiciaire du bail ou la constatation de la clause résolutoire (cass. civ., 3e ch., 20 décembre 2000, n° 99-11597). Dans ce dernier cas, le bailleur, après avoir fait constater (par huissier) l’exercice de l’activité litigieuse, peut mettre en demeure le locataire de cesser cette activité en visant la clause résolutoire du bail. À défaut d’obtempérer dans le mois, la clause résolutoire pourra être acquise au bailleur (cass. civ., 3e ch., 28 mai 2003, n° 02-11155) ; au cas considéré, le bail autorisait une activité de croissanterie, briocherie, viennoiserie, jus de fruits et glaces et le locataire avait adjoint l’activité de vente de crêpes.
L’action en résiliation du bail pour inobservation d’une de ses clauses, et notamment l’exercice d’activités non autorisées, n’est pas soumise à la prescription de 2 ans prévue pour certaines actions relatives aux baux commerciaux et, l’infraction constatée, les juges n’ont pas à s’expliquer sur le caractère connexe ou complémentaire de ces activités (cass. civ., 3e ch., 3 juillet 1985, n° 84-11807).
Une société exploite des locaux à usage de commerce de vins et de restaurant. Son bail lui interdit expressément toute autre activité. Cependant, le site Internet de la société révèle qu’elle organise régulièrement, dans les locaux, des concerts, ainsi que des spectacles de danse. Le bailleur saisit la justice et fait valoir que la société ne l’a pas informé de cette activité connexe. Les juges donnent gain de cause au bailleur : la nouvelle activité déployée dans les locaux ne peut pas être considérée comme incluse dans l'activité autorisée par le bail. En conséquence, le bailleur obtient la résiliation judiciaire du bail (cass. civ., 3e ch., 8 juin 2017, n° 15-26208).
Dans une autre affaire, une société loue des locaux à usage de « boulangerie-pâtisserie, sandwicherie, rôtisserie, pizzas et autres plats à emporter, et de glaces, bonbons, frites et boissons fraîches à emporter, à l'exclusion de tous autres commerces et de toutes activités bruyantes, dangereuses et malodorantes ». Après l'installation par la société d'une terrasse sur le domaine public, le bailleur demande la résiliation du bail pour modification de sa destination. La Cour de cassation accueille sa demande, l'exercice d'une activité de petite restauration étant distinct de la vente à emporter (cass. civ., 3e ch., 26 mars 2020, n° 18-25893).
Dans le même sens, la vente de plats cuisinés, sur place ou à emporter, et la dégustation, sur place, d'un ensemble de plats pouvant composer un repas ne peuvent être considérées comme incluses dans un bail destiné à la vente de produits alimentaires de luxe et, accessoirement, à la dégustation sur place, à l'exclusion de tout autre commerce. L'exercice de ces activités sans l'autorisation du bailleur justifie la résiliation du bail pour faute (cass. civ., 3e ch., 17 juin 2021, n° 19-26317).
Refus de renouvellement. Le bailleur pourra préférer, au vu de l’infraction constatée, attendre la fin du bail et refuser le renouvellement.
Dans ce cas, il fera délivrer par huissier une mise en demeure d’avoir à faire cesser l’infraction ; passé ce délai, il délivrera par huissier un congé avec refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction en raison de la persistance de l’infraction.
Le congé sans indemnité est généralement validé par la jurisprudence, l’extension de la destination sans autorisation, même limitée à une activité connexe et complémentaire, étant une infraction grave au bail (cass. civ., 3e ch., 24 octobre 1990, n° 88-18644).
Déplafonnement du loyer. Le bailleur pourra aussi tenter un déplafonnement du loyer au moment du renouvellement du bail ; certaines décisions considèrent que cette activité adjointe sans autorisation est une modification notable de la destination des lieux (CA Paris 29 juin 1993, Gaz. Pal. 1993, 587).
Éléments de défense du preneur
Le locataire, face à une contestation du bailleur, tentera de faire valoir que la nouvelle activité était, en réalité, incluse dans le bail ou qu'elle est admise par les usages commerciaux à titre d'activité complémentaire par les usages commerciaux.
En revanche, il ne peut pas se borner à invoquer une tolérance du bailleur pour obtenir gain de cause.
Analyse des clauses du bail. Les juges du fond ont débouté un bailleur d’une demande de résiliation au vu d’une clause de destination énumérant certaines activités autorisées et se terminant par la mention « et cætera », l’énumération n’étant alors pas limitative (cass. civ., 3e ch., 26 janvier 1994, n° 91-20965).
Usages commerciaux. Une société, qui exploite un café-restaurant, décide de vendre des billets d'entrée au château de Versailles. Le bailleur dénonce cette adjonction sans autorisation et demande la résolution du bail. Cependant, cette vente de billets est un service offert à la clientèle par l'ensemble des bars restaurants situés à proximité du château et correspond à l'évolution des usages locaux commerciaux. Elle doit donc être considérée comme incluse dans le bail commercial (cass. civ., 3e ch., 16 septembre 2015, n° 14-18708).
Tolérance du bailleur. Une simple tolérance ne peut valoir autorisation implicite (cass. civ., 3e ch., 26 novembre 1991, n° 90-16149) ; les prédécesseurs du locataire poursuivi par le bailleur avaient adjoint à leur activité principale une autre activité sans aucune contestation de la part du bailleur. De même ne suffit pas à caractériser une renonciation du bailleur à se prévaloir de l’infraction constituée par le changement de destination des lieux effectué sans son autorisation le fait que cette activité était connue du précédent bailleur et de celui qui représente l’indivision actuellement propriétaire des lieux, lequel réside au-dessus du local commercial (cass. civ., 3e ch., 5 juin 2002, n° 00-20348).