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Parution: avril 2022

Baux particuliers

Les baux dans les centres commerciaux

Conditions d'exploitation imposées par le centre commercial

881

Le commerçant qui loue une surface à l’intérieur d’un centre commercial est soumis à des conditions d’exploitation, souvent très strictes.

En effet, le propriétaire ou l’exploitant (généralement titulaire de l’enseigne) de la grande surface se réserve le droit de déterminer unilatéralement un certain mode de fonctionnement des boutiques. Par exemple, les horaires d’ouverture et de fermeture des commerçants sont plus ou moins conditionnés par ceux du centre commercial.

Par ailleurs, les locataires peuvent être tenus d'adhérer à une association de commerçants. Le caractère obligatoire de ces adhésions a conduit à de nombreux contentieux, généralement gagnés par les locataires au nom de la liberté d’association (voir ci-après « Association de commerçants »).

Ces contraintes déjà fortes sont souvent doublées de clauses faisant obligation au preneur d’exercer son activité dans le cadre d’un contrat de concession ou de franchise.

  • Résiliation du bail pour non-exécution des clauses. Le preneur doit respecter les conditions d’exploitation ; à défaut, le bail peut être résilié. Tel a été le cas d’un commerçant qui fermait son local un jour d’ouverture du centre commercial (cass. civ., 3e ch., 20 juillet 1989, n° 88-14012) ; mais la résiliation a été refusée à propos d’un commerce affecté à la vente au détail de façon intermittente, contrairement à l’usage habituel dans le centre commercial, les juges du fond n’ayant pas constaté que l’exploitation continue figurait parmi les conditions expresses du bail (cass. civ., 3e ch., 3 avril 1996, n° 94-16991).

  • Association de commerçants. Les baux de locaux situés à l’intérieur d’un centre commercial contiennent souvent une clause obligeant le locataire à adhérer à l’association des commerçants du centre pendant toute la durée du bail. Cette association a pour objet de fournir à ses membres, en contrepartie du versement de cotisations, diverses prestations telles que la gestion des services communs du centre commercial, ainsi que l’organisation d’actions de publicité, de promotion et d’animation du centre commercial.

    Une telle clause est nulle (cass. civ., 1re ch., 20 mai 2010, n° 09-65045). Elle méconnaît en effet la loi de 1901 relative aux associations : « tout membre d'une association peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire » (loi du 1er juillet 1901, art. 4). Elle méconnaît également l'article 11 de la convention européenne des droits de l'homme selon lequel toute personne a droit à la liberté d'association.

    Toutefois, la nullité de la clause ne fait pas échec au principe des restitutions réciproques que peut impliquer l’annulation d’un contrat exécuté. Ainsi, l’association de commerçants a droit à la restitution en valeur des services dont a bénéficié le locataire depuis la conclusion du bail (cass. civ., 3e ch., 23 novembre 2011, n° 10-23928 et cass. civ., 1re ch., 12 juillet 2012, n° 11-17587).

    De son côté, le locataire peut réclamer le remboursement des cotisations qu'il a versées, ainsi que des dommages et intérêts (cass. civ., 1re ch., 27 septembre 2017, n° 16-19878).

  • Crédit-bail. Les programmes immobiliers des centres commerciaux sont souvent financés au moyen d’opérations de crédit-bail. En raison de la spécificité de ces contrats, les dispositions du statut des baux commerciaux ne leur sont pas applicables. En revanche, lorsque le bénéficiaire du contrat (le crédit-preneur) consent une sous-location à un commerçant, ce contrat, distinct du contrat de crédit-bail, est soumis au statut des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 10 décembre 2002, n° 01-15062).

  • Exploitation d'un rapport de force - Tribunal compétent. Le locataire d'un local situé dans un centre commercial assigne le bailleur et lui reproche des contraintes excessives (clause de non-responsabilité en faveur du bailleur et loyer comportant un minimum garanti). Il fait valoir qu'un tel comportement est sanctionné par des dommages et intérêts en application de l'article L. 442-6 (devenu L. 442-1) du code de commerce. En principe, les litiges relatifs à l'application de cet article relèvent de certaines juridictions spécialisées (désormais c. com. art. D. 442-3). Cependant, la Cour de cassation précise que seules les activités de production, de distribution ou de services sont visées par cette réglementation. Le litige portant sur l'exécution d'un bail n'est donc pas soumis à ces juridictions spécialisées (cass. civ., 3e ch., 15 février 2018, n° 17-11329).

Conditions exigées pour la reconnaissance du statut

Trois conditions à remplir

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Pour que le statut soit applicable, nonobstant la qualification donnée par les parties, la jurisprudence exige :

-un local stable et permanent (voir § 883) ;

-une clientèle personnelle et régulière attachée à ce local (voir § 884) ;

-une autonomie de gestion (voir § 885).

En mettant en avant l'absence d'une ou de plusieurs de ces conditions, la jurisprudence refuse souvent le statut des baux commerciaux aux personnes qui exploitent une activité commerciale à l’intérieur d'un centre commercial.

Local stable et permanent

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Lorsque la convention donne au bailleur toute latitude pour restreindre ou modifier le local, le locataire ne bénéficie pas du statut des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 24 février 1976, n° 74-13314 ; cass. civ., 3e ch., 20 février 1985, n° 83-16019 ; cass. civ., 3e ch., 5 avril 1995, n° 93-14864).

À l'inverse, le locataire bénéficie du statut des baux commerciaux lorsqu'il exploite son fonds dans une construction permanente située à l’extérieur d’un supermarché, adossée au mur de celui-ci et couverte et possède une clientèle personnelle (cass. civ., 3e ch., 1er décembre 1976, n° 74-92881).

  • Cloisons mobiles. Ne constitue pas un local permettant l’application du statut l’emplacement délimité sur le sol d’un hypermarché par des cloisons légères à hauteur d’homme (cass. civ. 5 juillet 1995, n° 93-17674).

  • Entrée indépendante et autonomie de gestion. Ne constitue pas un simple emplacement mais forme de véritables locaux soumis au statut des baux commerciaux un ensemble disposant d’une vitrine et d’une entrée indépendante et pour lequel les contrats successifs précisent que le preneur agit à ses risques et périls et a une pleine autonomie de gestion ainsi qu’une clientèle propre, distincte de celle du supermarché (cass. civ., 3e ch., 24 janvier 1996, n° 94-10322).

Autonomie de gestion

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Les juges peuvent également refuser le statut des baux commerciaux en s’attachant à l’absence d’autonomie dans la gestion du fonds de commerce (cass. civ., 3e ch., 9 juillet 1979, n° 77-13452).

Conditions d’exploitation. Le statut des baux commerciaux a été refusé à une société titulaire d’un emplacement dans un centre commercial qui, bien qu’assurant seule la gestion de ses stocks et de ses ventes et réglant directement à EDF son abonnement et ses consommations, est soumise aux horaires d’ouverture du centre commercial, lequel paie les charges, organise la publicité et fixe la politique des prix (cass. civ., 3e ch., 5 février 2003, n° 01-16672).

Clientèle autonome et propre

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Les juges peuvent aussi refuser le statut des baux commerciaux en mettant en avant l’absence de clientèle personnelle et régulière.

Toutefois, il serait inexact de conclure que l’implantation dans un centre commercial entraîne, de plein droit, l’absence de clientèle autonome.

  • Emplacement extérieur. Ne bénéficie pas de la législation sur les baux commerciaux le commerçant exploitant un banc de poissons installé à proximité d’un supermarché dès lors que la clientèle de ce commerce est constituée, de manière largement prédominante, par celle du supermarché exploité par la société propriétaire du local (cass. civ., 3e ch., 27 novembre 1991, n° 90-15177).

    Plus récemment, la cour d’appel de Bordeaux a reconnu le bénéfice du statut des baux commerciaux à une poissonnerie exploitée à l’extérieur d’un supermarché dès lors qu’elle bénéficiait d’un local stable et permanent, d’une clientèle personnelle et régulière et d’une autonomie de gestion (CA Bordeaux 20 juin 2007, Loyers et copropr. 2008, 11).

  • Enseigne attractive. Certains commerces spécialisés ont une enseigne suffisamment attractive pour créer par eux-mêmes un flux de clientèle indépendante de celle du centre. Les locaux dits « de moyenne surface » situés dans le centre mais ayant une indépendance pourront aussi bénéficier d’une clientèle autonome.

Obligations respectives des parties

Le loyer et la clause-recette

Caractéristiques

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La pratique a mis au point un mode particulier d’indexation du loyer des locaux dans les centres commerciaux. Le loyer y est fixé selon un pourcentage sur le chiffre d’affaires. C'est ce que l'on appelle la « clause-recette ».

Le plus souvent, le loyer comporte une partie fixe, sorte de minimum garanti, en plus de la partie variable qui correspond à un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le locataire. On parle alors de « loyer binaire ».

Incidence fiscale d’une clause-recette. L’inclusion, dans un contrat de bail commercial, d’une clause-recette est l’un des éléments retenus par l’administration fiscale comme critère de commercialité. Pour qu’il en soit ainsi, il faut qu’eu égard à l’importance de la participation aux résultats de l’entreprise locataire, l’activité de la société bailleresse revête un caractère commercial. Sur le plan fiscal, les produits de la location sont, dans ce cas, des BIC et non des revenus fonciers. Le risque est notamment important pour les sociétés civiles qui n’ont pas opté pour l’IS et qui peuvent se voir, a posteriori, imposées dans les conditions des sociétés commerciales.

Sort des clauses lors du renouvellement

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Longtemps, la Cour de cassation a considéré que le loyer fixé dans une clause-recette étant régi pas la seule convention des parties, celles-ci ne pouvaient pas demander au juge de fixer le montant du loyer renouvelé (cass. civ., 3e ch., 5 janvier 1983, n° 80-17309 ; cass. civ., 3e ch., 15 mars 2000, n° 98-16771).

Il en résultait notamment que :

-le bail était renouvelé aux conditions de l’ancien, le loyer n’augmentant qu’à travers les clauses-recettes (cass. civ., 3e ch., 26 avril 1989, n° 88-10225 ; cass. civ., 3e ch., 15 mai 1991, n° 89-20847 ; cass. civ., 3e ch., 10 mars 1993, n° 91-13418 ; cass. civ., 3e ch., 27 janvier 1999, n° 97-13366) ;

-le loyer minimum garanti échappait au pouvoir du juge des loyers commerciaux et ne pouvait être fixé à la valeur locative (cass. civ., 3e ch., 7 mars 2001, n° 99-17055) ;

-la fixation du loyer renouvelé dans toutes ses composantes ne pouvait résulter que de l’accord des parties et le rôle du juge ne pouvait être que de constater cet accord, s’il existait. En l’absence d’un tel accord, le bailleur et le preneur étaient déboutés de leur demande en fixation du prix du bail renouvelé (cass. civ., 3e ch., 7 mai 2002, n° 00-18153).

Puis la Cour de cassation a affiné sa jurisprudence et admis qu'un loyer binaire puisse être soumis au juge lors du renouvellement. Dans cette affaire, le loyer était composé d'une base minimale et d'un montant additionnel représentant un pourcentage (8 %) du chiffre d'affaires de la société locataire. Le bail précisait que, au moment du renouvellement, le loyer de base serait fixé selon la valeur locative prévue par le code de commerce et, à défaut d'accord, par le juge. Au moment du renouvellement, le bailleur a demandé au juge des loyers commerciaux de fixer le loyer de base à la valeur locative, ce que celui-ci a refusé. Le juge a, en effet, considéré que le choix d’un loyer binaire était incompatible avec l’application du statut des baux commerciaux. Cette décision a été censurée par la Cour de cassation : le choix d’un loyer binaire n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative. La Cour précise que le juge doit alors appliquer à la valeur locative un abattement, afin de tenir compte du loyer variable versé en plus du loyer minimum garanti (cass. civ., 3e ch., 3 novembre 2016, nos 15-16826 et 15-16827).

La Cour de cassation a eu l'occasion de confirmer sa jurisprudence et de considérer qu'une clause du bail pouvait parfaitement (cass. civ., 3e ch., 29 novembre 2018, n° 17-27798) :

-calculer le loyer sur la base du chiffre d'affaires du locataire ;

-imposer un minimum équivalent à la valeur locative des lieux loués ;

-confier au juge le soin d’évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum garanti.

  • Refus de renouvellement et droit de repentir. Le bailleur a toujours la faculté, en cas de désaccord sur le prix du bail renouvelé, de refuser le renouvellement ou encore d'exercer son droit de repentir, même dans l’hypothèse d’un bail comportant une clause recette (cass. civ., 3e ch., 12 juin 2003, n° 02-11493 ; cass. civ., 3e ch., 24 novembre 2004, n° 03-14620 ; cass. civ., 3e ch., 11 janvier 2006, n° 04-18475).

  • Indemnité d’occupation. Lorsque, à l’expiration d’un bail (comportant une clause recette), le bailleur décide de refuser le renouvellement, l’indemnité d'occupation due par le locataire doit (sauf clause contraire) être fixée à la valeur locative et non sur la base du loyer qui aurait été fixé en cas de renouvellement (cass. civ., 3e ch., 3 octobre 2007, n° 06-17766).

Concurrence dans le centre

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Un des soucis majeurs des exploitants d’un centre commercial est de veiller à la diversité des commerces nécessaire pour un bon drainage de clientèle.

À cet effet, le bail ou le règlement du centre contiennent souvent une clause interdisant la location d’autres parties du même ensemble pour l’exercice d’un même commerce. Certes, cette clause d'exclusivité ou de non-concurrence est, en principe, illicite dans un règlement de copropriété, les copropriétaires ne pouvant subir une restriction étrangère à la destination de l’immeuble (cass. civ., 3e ch., 11 mars 1971, n° 69-12123 ; cass. civ., 3e ch., 2 juillet 1975, n° 74-11286). Mais, le plus souvent, le centre n'est pas en copropriété ; en outre, les spécificités d’un centre commercial font que les clauses de non-concurrence sont parfois admises dans un règlement de copropriété. Enfin, les clauses d'exclusivité ou de non-concurrence peuvent parfaitement être insérées dans les baux (sur les clauses d'exclusivité, voir également §§ 155 à 158).

  • Clauses du règlement de copropriété valides. La Cour de cassation a admis la validité des clauses de non-concurrence insérées dans un règlement de copropriété :

    -en présence de centres commerciaux isolés nécessaires aux besoins d’habitants éloignés de tous autres commerces (cass. civ., 3e ch., 25 novembre 1980, n° 79-12562) ;

    -au vu de l’obligation, pour tout acquéreur de lots dans un centre commercial, de souscrire des actions d’une société dont l’objet est de regrouper les commerçants, gérer le centre et assurer la promotion commerciale, la destination de l’immeuble exclusivement commerciale mettant l’accent sur la volonté d’une politique commerciale commune (cass. civ., 3e ch., 12 février 1997, n° 95-12125).

    En outre, dans certains centres commerciaux, la copropriété cède le pas aux divisions en volumes qui relèvent d’une organisation différente.

  • Clause d'exclusivité. En l’état d’un bail par lequel le propriétaire d’un centre commercial s’interdit de laisser établir dans ce centre tout autre commerce se rapportant à l’activité du locataire, les juges constatant qu’un autre locataire a été autorisé à exercer un commerce connexe qui fait une concurrence certaine peuvent retenir la faute du propriétaire qui a violé son engagement (cass. civ., 3e ch., 21 novembre 1969, BC III n° 748).

    Dans ce cas, le propriétaire sera condamné à des dommages et intérêts (cass. civ., 3e ch., 24 mars 1966, BC III n° 166).

    La clause d'exclusivité d'un bail conclu avec un pharmacien dans un centre commercial interdit au bailleur de louer un autre local pour une activité concurrente à celle d'officine de pharmacie. Cependant, le propriétaire agrée une cession de droit au bail au profit d'une société vendant des produits parapharmaceutiques. La vente de ces produits entrant dans le champ de son activité professionnelle, le pharmacien est en droit de réclamer au bailleur une indemnité pour violation de la clause d'exclusivité (cass. civ., 3e ch., 28 janvier 2021, n° 19-18233).

  • Servitude de non-concurrence. L’interdiction faite à l’acquéreur d’un fonds de commerce peut revêtir le caractère d’une servitude établie par le fait de l’homme attachée au fonds dans l’intérêt de l’autre fonds. Une telle convention est valable, pourvu que cette servitude n’ait rien de contraire à l’ordre public et si l’interdiction est restreinte à un lieu déterminé (cass. com., 3e ch., 15 juillet 1987, n° 86-11272).

  • Refus in extremis de s’installer à côté d’un concurrent. Le propriétaire d’un local situé dans un centre commercial le donne à bail à une parfumerie. Concomitamment, une société concurrente s’installe dans le local mitoyen. Face à cette concurrence inattendue, la parfumerie assigne alors le propriétaire en nullité du bail invoquant une erreur de sa part sur les qualités substantielles du local. Les juges retiennent que la parfumerie a effectivement conclu le bail dans la croyance erronée qu’elle n’aurait pas de concurrence dans le centre et concluent à la nullité du bail (cass. civ., 3e ch., 2 octobre 2013, n° 12-13302).

  • Clause du bail contestée par un centre concurrent. Les baux d’un centre commercial comportent une clause par laquelle chaque locataire s’engage, pendant la durée du bail, à ne pas ouvrir une boutique dans un autre centre (dans un rayon de 5 km) en utilisant la même enseigne et en distribuant la même marque. Le centre commercial concurrent engage une procédure pour faire annuler cette clause. Sa demande est rejetée car la clause, limitée dans le temps et dans l’espace, « ne constitue pas une atteinte disproportionnée au regard des intérêts légitimes qu’elle vise à protéger » (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 3 juillet 2013, n° 11-17161).

  • Droit de veto d'un locataire. Une société lettonne loue de très nombreux locaux dans un centre commercial. Une clause de ses baux lui permet de donner, ou non, son accord pour que d'autres commerçants louent un local dans le centre. Pour la Cour de justice de l'Union européenne, ces baux ne sont pas, a priori, anticoncurrentiels. Toutefois, une analyse des circonstances de fait peut, le cas échéant, prouver qu'ils ont pour effet de fausser le jeu de la concurrence (CJUE 26 novembre 2015, aff. C-345/14).

  • Action en référé d'un concurrent. Un commerçant ouvre un magasin d'alimentation générale dans un centre commercial et y vend notamment des pains et des viennoiseries. Cependant, son bail lui interdit de concurrencer les commerçants en place dans le centre. Le boulanger-pâtissier, qui était déjà installé dans le centre, peut saisir le juge des référés pour que le nouvel arrivant soit contraint de cesser la vente de pains et viennoiseries (cass. civ., 3e ch., 6 mai 2021, n° 19-23145).

Déspécialisation

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La déspécialisation dans les centres commerciaux relève dans son principe des règles prévues par le code de commerce (voir §§ 451 à 477). L’introduction dans les contrats ou dans des documents annexes de clauses relatives à la concurrence ou de clauses dites « d’enseigne » ne peut faire échec au droit de déspécialisation reconnu au locataire, sauf dérogation légale.

  • Premier locataire. La faculté de déspécialiser est refusée au premier locataire d’un local compris dans un ensemble constituant une unité commerciale définie par un programme de construction et ce, pendant un délai de 9 ans à compter de la date de son entrée en jouissance (c. com. art. L. 145-48).

  • Clause d’enseigne. Un contrat de bail et un contrat de franchise signés quasi simultanément forment un tout, de telle sorte que chacun ne peut s’analyser qu’à la lumière de l’autre. La clause imposant au preneur d’exercer son activité sous une enseigne précise est nulle car elle ne lui permet pas de faire valoir son droit à déspécialisation partielle, par adjonction d’activités connexes ou complémentaires (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 2000, n° 98-21671).

Insuccès du centre commercial

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En l’absence de clause particulière, le bailleur d’un centre commercial n’a pas d’obligations plus étendues que celles d’un bailleur ordinaire (cass. civ., 3e ch., 11 mai 1995, n° 93-16719).

Le bailleur est seulement tenu, en l’absence de stipulation particulière, d’assurer la délivrance, l’entretien et la jouissance paisible de la chose louée (cass. civ., 3e ch., 12 juillet 2000, n° 98-23171). Au cas considéré, il s’agissait d’une action d’un restaurateur dont le local était situé au sous-sol d’une galerie marchande visant à obtenir du bailleur des dommages et intérêts pour diminution importante de son chiffre d’affaires. La Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer cette position (cass. civ., 3e ch., 19 décembre 2000, n° 99-15202 ; cass. civ., 3e ch., 13 juin 2001, n° 99-17985 ; cass. civ. 3e ch., 11 avril 2019, n° 18-12076).

Toutefois la responsabilité du bailleur peut être retenue lorsque l’insuccès commercial du centre est dû à une faute grave de sa part ou au non-respect d’un engagement contractuel.

  • Engagement du bailleur. La garantie du bailleur peut être mise en cause lorsqu’il s’est engagé à garantir la viabilité d’un centre Usine Center sous une forme précise pendant 5 ans (CA Paris, 16e ch. sect. A, 13 mars 2002, n° 1081999/21169).

  • Obligation de moyen. L'obligation de maintenir un environnement commercial favorable est une obligation de moyen (cass. civ., 3e ch., 26 mai 2016, n° 15-11307). Au cas particulier, n'a pas manqué pas à son obligation le bailleur qui, face à la décommercialisation du centre (80 emplacements occupés sur un total de 120), démontre avoir confié à une société gestionnaire à la compétence reconnue la recherche de nouveaux locataires pour les locaux et avoir engagé dans un délai raisonnable un projet de restructuration du centre destiné à offrir aux commerçants un cadre totalement rénové.

    À l’inverse, si la dégradation de la commercialité des lieux trouve au moins en partie son origine dans l'insuffisance des efforts déployés par le bailleur, ce dernier peut voir sa responsabilité retenue (cass. civ., 3e ch., 23 janvier 2020, n° 18-19051). En l'espèce, un commerce de maroquinerie a obtenu 80 000 € de dommages et intérêts, le bailleur n'ayant pas fait les efforts suffisants pour mettre fin aux dysfonctionnements du chauffage ainsi qu'aux problèmes d'infiltration et de sécurité rencontrés dans le local loué et dans le centre.

  • Modification du projet initial. La responsabilité du bailleur n’a pas été retenue à propos d’une étude de marché communiquée, avant la signature du contrat de location, au preneur, étude qui s’est révélée tendancieuse, un concert frauduleux n’étant pas démontré entre l’auteur de cette étude et le promoteur du centre (CA Bordeaux 3 mars 1986, Loyers 1986, 237). De même, les études préalables faites par les promoteurs concernant la clientèle potentielle n’ont pu induire en erreur les souscripteurs que sur la valeur de la chose louée et non sur ses qualités substantielles (CA Paris 15 janvier 1987, D. 1987 IR 28).

    La non-réalisation par le vendeur d’un terrain, d’un lotissement prévu, causant ainsi un trouble commercial important, n’engage par la responsabilité de ce vendeur si l’acte ne prévoit pas l’obligation de réaliser ce lotissement (cass. civ., 3e ch., 2 juin 1981, n° 80-10378).

  • Investissements coûteux. Le propriétaire d’une galerie a commis une faute en relation avec l’aggravation du passif du locataire, mis en liquidation judiciaire, en incitant le preneur à procéder à des investissements coûteux voués à l’échec, qui sont directement à l’origine de la cessation des paiements, investissements qui revenaient gracieusement au propriétaire en fin de contrat. Il a été en conséquence condamné à verser des dommages et intérêts au liquidateur (cass. com. 22 février 1994, n° 92-13871).

  • Publicité mensongère. Le caractère mensonger de la publicité portant non sur des éléments caractéristiques du centre commercial ou des locaux loués, mais sur des éléments extérieurs (rénovation des voies d’accès, construction d’une tour) non réalisés, ne sont pas de nature à entraîner la résiliation du bail (CA Paris 15 janvier 1987, D. 1987 IR 28).

  • Départ d’un commerçant. Un locataire d’un ensemble immobilier sous-loue une partie de ses locaux à une société exerçant une activité complémentaire à la sienne. Plus de 11 ans après, le preneur ferme le magasin qu’il exploitait dans les locaux contigus à ceux sous-loués. Le sous-locataire assigne alors son bailleur en résiliation du sous-bail à ses torts et en paiement de dommages et intérêts. Il prétend que ce dernier n’a pas respecté son obligation d’assurer la jouissance paisible des lieux et a manqué à son devoir de loyauté puisqu’il a mis fin unilatéralement à l’exploitation des lieux. Les juges ne partagent pas cette interprétation : à défaut de stipulations contraires, le bailleur d’un local situé dans un centre commercial n’a pas l’obligation légale d’assurer le maintien de l’environnement commercial (cass. civ., 3e ch., 3 juillet 2013, n° 12-18099).

  • Clause envisageant une décoration soignée. La Cour de cassation rappelle que le bailleur d'un local situé dans un centre commercial n'est pas tenu d'en assurer la commercialité sauf clause particulière. Lorsque les conditions générales et particulières du bail précisent que les parties ont entendu tout mettre en œuvre pour que le centre ait un positionnement différent des autres centres, non seulement en termes de qualité environnementale, mais également quant à l'architecture et à la décoration particulièrement soignée, la Cour de cassation estime que ces clauses n'engendrent d'obligations qu'à la charge du preneur mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur (cass. civ., 3e ch., 15 décembre 2021, nos 20-14423 et 20-16570).

Obligations du bailleur

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Le bailleur d’un centre commercial est tenu, sauf clause particulière, aux mêmes obligations que tout bailleur de locaux commerciaux ; il doit livrer des biens conformes à l’usage auquel ils sont destinés. En cours de bail, il ne peut changer la forme de la chose louée.

Par ailleurs, il est tenu d’entretenir les parties communes. En pratique, les revers d’un centre commercial ne suffisent pas à engager la responsabilité du bailleur (voir § 890). Mais lorsque l’échec du centre conduit le bailleur à en négliger l’entretien, sa faute peut être retenue.

  • Travaux en cours de bail. Le bailleur ne peut, pendant la durée du bail, changer la forme de la chose louée. Ayant pris à bail un local commercial dépendant d’un centre commercial, le locataire assigne le propriétaire en démolition des travaux d’extension du centre et remise en état des lieux loués. La cour d’appel saisie du litige refuse la démolition en raison des conséquences qu’elle aurait pour les locataires des nouvelles boutiques, mais octroie des dommages et intérêts au demandeur. La Cour de cassation censure cette décision pour violation de l’article 1723 du code civil (cass. civ., 3e ch., 3 avril 1996, n° 94-14485). De même, lorsque les travaux ont entraîné une modification substantielle de la chose louée, la clause selon laquelle les travaux en cours de bail doivent être supportés sans indemnités (seuls les troubles anormaux appelant une indemnisation) ne prive pas le locataire d’une demande en dommages et intérêts pour le préjudice subi (cass. civ. 18 juillet 2001, n° 00-10082). Le bailleur peut également être condamné à réparer le préjudice subi par les locataires en raison de travaux exécutés pendant une période anormalement longue (CA Paris, 16e ch. sect. A, 5 juillet 2006, AJ DI 2006, 825).

  • Clause précisant que les travaux seraient à régler dans les charges de copropriété. Lorsque le bail prévoit que les travaux de rénovation d’un centre commercial sont à régler dans les charges de copropriété ou charges exceptionnelles ou de travaux, cette seule clause ne peut permettre de faire supporter au locataire des travaux de mise aux normes de sécurité imposée par les textes en vigueur qui incombent au bailleur (cass. civ. 9 novembre 2004, n° 03-16233).

  • Obligation de gardiennage. Lorsque la société propriétaire du centre commercial est tenue de faire son affaire personnelle du gardiennage et de l’ouverture sans interruption de la galerie de 9 heures à 21 heures, les juges du fond, qui ont constaté que ce bailleur, depuis l’origine, n’avait pas permis au preneur d’exploiter conformément à ces stipulations du bail, ont pu retenir que ce manquement autorisait le locataire à suspendre le paiement des loyers (cass. civ. 15 décembre 1993, n° 92-12324).

  • Dégradation du centre commercial. Une pharmacienne, installée dans un centre commercial reproche au bailleur un défaut d’entretien des lieux. Elle est acculée à la liquidation judiciaire et son liquidateur réclame au bailleur une somme au titre de la perte du fonds de commerce. Les juges donnent droit à cette demande. Selon eux, le bailleur a laissé passivement se dégrader un environnement qui dépend de lui ; cette dégradation a attiré les marginaux de toutes sortes. La défaillance du bailleur à maintenir un état décent du centre commercial constitue bel et bien une faute contractuelle. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation : en l’absence de stipulation particulière, le bailleur est seulement tenu de l’entretien des lieux loués (cass. civ. 28 juin 2005, n° 04-14087).

  • Se reporter au bail. Un locataire reproche au bailleur son défaut d’entretien du centre. La cour d’appel reprend à son compte la formule déjà énoncée par le Cour de cassation (voir ci-dessus) : en l’absence de stipulation particulière, le bailleur est seulement tenu de l’entretien des lieux loués. Cette décision est censurée par la Cour de cassation : les juges doivent rechercher si le défaut d’entretien des parties communes du centre commercial a eu pour effet de priver le locataire des avantages qu’il tenait du bail (cass. civ. 31 octobre 2006, n° 05-18377).

  • Défaut d’entretien des parties communes. Le propriétaire d’une galerie marchande donne à bail un local à une société qui exploite un salon de coiffure. Suite à l’ouverture d’un nouveau centre commercial, toutes les boutiques déménagent de la galerie, laissant le salon isolé. La société assigne alors son bailleur en résiliation du bail et invoque les manquements de ce dernier à son obligation d’entretien de la galerie (dépérissement de l’immeuble, impossibilité d’accès aux toilettes et gravats sur les places de parking). Les juges considèrent les faits décrits par la société comme des manquements graves du bailleur justifiant la résiliation du bail à ses torts et des dommages et intérêts. Le bailleur se pourvoit en cassation ; il estime ne pas être tenu d’entretenir les parties communes de la galerie car le bail ne l’y contraint pas. La Cour de cassation valide la condamnation du bailleur : les parties communes d’un centre commercial constituent des accessoires nécessaires à l’usage de la chose louée (cass. civ., 3e ch., 19 décembre 2012, n° 11-23541).