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Parution: avril 2022

Baux particuliers

Les conventions d’occupation précaire

Condition essentielle : la précarité

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La convention d'occupation précaire est régie par l'article L. 145-5-1 du code de commerce, qui l'exclut expressément du bénéfice du statut des baux commerciaux. Elle y est définie comme la convention qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties (c. com. art. L. 145-5-1).

  • Attente d’une autorisation administrative. Les bâtiments protégés en attente d’autorisation administrative nécessaire pour l’aménagement définitif du domaine dont ils dépendent peuvent faire l’objet d’une convention d’occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 16 mars 1988, n° 86-17370).

  • Attente de l’issue d’un procès. La convention conclue en attendant un arrêt de cassation à intervenir relève de la convention d’occupation précaire (CA Paris 30 mai 1973, Sem. Jur. 1973, 17505).

  • Attente de l'achèvement de travaux. Ses locaux ayant été détruits par un incendie, une société prend des locaux de remplacement permettant d'abriter le personnel et les machines afin de poursuivre l'exploitation pour une période initialement envisagée de 20 mois, dans l'attente de l'achèvement des travaux de reconstruction de l'usine incendiée. Il s'agit là d'une convention d'occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 2 avril 2003, n° 01-12923).

  • Expropriation. Très souvent, des conventions d’occupation précaire sont conclues à propos d’immeubles en attente d’expropriation (cass. civ., 3e ch., 16 octobre 1979, D. 1980 IR 95). La cour d’appel de Paris a même décidé à propos d’une convention liée à une expropriation que les bailleurs ne sont pas pour autant engagés à maintenir le locataire dans les lieux jusqu’à la réalisation effective de l’expropriation (CA Paris 8 janvier 1980, D. 1980 IR 107).

  • Redevance dérisoire. Le caractère précaire a été reconnu à propos de terrains appartenant à une ville pour lesquels les preneurs exploitent un centre de loisirs, la fragilité de l’occupation étant justifiée par des circonstances particulières (édification d’un barrage) et la redevance d’occupation étant dérisoire (cass. civ., 3e ch., 28 octobre 1987, n° 84-10296).

  • Zones d’aménagement. Les locaux compris dans une zone d’aménagement concerté et destinés à être démolis peuvent faire l’objet d’une convention d’occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 6 novembre 1991, n° 90-16514).

  • Réserve foncière d'une commune. L'article L. 221-2 du code de l'urbanisme autorise la collectivité territoriale qui achète un immeuble en vue de la constitution d'une réserve foncière à ne consentir que des concessions temporaires sur cet immeuble. Un local commercial dépendant de cet immeuble ne peut donc pas faire l'objet d'un bail commercial, mais seulement d'une convention d'occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 26 mars 2020, n° 19-12015).

Distinction entre occupation précaire et bail de courte durée

Comment les différencier

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Les conventions d’occupation précaire se distinguent du bail de courte durée (cass. civ., 3e ch., 25 mai 1977, n° 76-10226) (sur les baux de courte durée, voir § 851). C’est la précarité, indépendante de la volonté des parties, qui fait la différence. Ainsi, lorsque le locataire ne fait état d’aucune circonstance exceptionnelle justifiant une occupation précaire, et que la convention est souscrite pour une durée de 3 ans au maximum, on est en présence d’un bail de courte durée régi par l'article L. 145-5 du code de commerce (cass. civ., 3e ch., 31 mai 1994, n° 92-15202).

  • Vétusté des locaux. La vétusté et la dangerosité d’un local nécessitaient de les libérer au terme des 23 mois prévus par le bail. Les juges ont retenu qu’il s’agissait bien d’une convention d’occupation précaire, et non d’un bail dérogatoire (CA Paris, 16e ch., sect. B, 6 juillet 2006, AJDI 2006, 820).

  • Bail de courte durée. Souhaitant cesser son activité, un commerçant s’entend avec le propriétaire de son local pour mettre fin à son bail commercial de façon anticipée et être autorisé à rester dans les lieux pendant 23 mois, le temps de vendre son fonds de commerce. À l’issue de cette période, le commerçant, qui n’a pas trouvé d’acheteur, reste dans les lieux et le propriétaire ne cherche pas à l’expulser. C’est seulement près d’un an plus tard que le bailleur réclame en justice l’expulsion. Il fait valoir que l’autorisation donnée correspondait à une convention d’occupation précaire et rappelle que, à l’expiration d’une telle convention, l’occupant ne bénéficie d’aucun droit à se maintenir dans les lieux. Cependant, la Cour de cassation considère que le projet de cession du fonds n’est pas une cause objective de précarité. En effet, au bout du compte c'est le locataire qui décide de vendre ou non le fonds. Dès lors la précarité n'est pas indépendante de la volonté des parties et ce n’est donc pas une convention d’occupation précaire qui a été conclue, mais un bail de courte durée. Or, à l’expiration d’un tel bail, le locataire, laissé dans les lieux par le propriétaire, bénéficie d’un bail de 9 ans. Le commerçant ne peut donc pas être expulsé (cass. civ., 3e ch., 12 décembre 2019, n° 18-23784).

  • Adjonction provisoire d'un local contigu. Un bailleur et un locataire ont signé un bail pour une activité de bar. Par la suite, ils signent un bail, qualifié de précaire, de 23 mois sur un local contigu, le but de cette location étant de permettre au locataire de tester la pertinence du développement d'une activité accessoire de restauration rapide. Le contrat précise que les parties renoncent expressément à l'application du statut des baux commerciaux. En fin de bail, le locataire fait valoir que la convention n'était pas motivée par des circonstances particulières, objectives et indépendantes de la volonté des parties. Cependant, la Cour d'appel puis la Cour de cassation rejettent la contestation du preneur et considèrent que le contrat conclu est une convention d'occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 9 février 2017, n° 15-18251).

Durée de l’occupation précaire

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Une occupation précaire peut durer plus de 3 ans, contrairement au bail de courte durée (voir § 851).

La convention d'occupation précaire, n'étant pas un bail, elle n'a pas à être publiée pour être opposable aux tiers, quelle que soit sa durée (cass. civ., 3e ch., 19 novembre 2014, n° 13-20089).

  • Durée de 5 ans. Une convention d’occupation précaire peut être conclue compte tenu des projets économiques et urbanistiques de la commune et elle peut prévoir une durée de 5 ans dans le souci de permettre à l’occupant de rentabiliser ses investissements (cass. civ., 3e ch., 16 février 2000, n° 97-13752).

  • Contrat de 2 ans renouvelable d'année en année. Aux termes de deux conventions distinctes, une société met à la disposition d’une autre société des locaux dont elle est locataire pour l’exercice de son activité dans le « cadre et à titre accessoire » du contrat d’exclusivité. Il est prévu que cette mise à disposition, de 2 ans puis renouvelable chaque année, doit prendre fin en même temps que ce contrat et qu’en aucun cas, elle ne peut conférer à cette société le bénéfice du statut. Dans ces conditions, la société ne peut revendiquer la propriété commerciale (cass. civ. 14 novembre 2002, n° 01-11152).

  • Occupation sur plus de 20 ans. Chaque année et pendant plus de 20 ans, un local commercial est confié au même exploitant à titre précaire, dans l'attente de la destruction de l’immeuble liée à la réalisation, par la commune, d'un projet de réhabilitation du centre-ville. On est bien en présence d'une convention d’occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 14 novembre 2019, n° 18-21297).

  • Durée d'occupation du domaine public. Lorsqu'une entreprise est autorisée à occuper ou utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, la durée de l'autorisation est fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis (c. gén. propr. pers. pub. art. L. 2122-2).

Sans pouvoir espérer le statut des baux commerciaux

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Le bail de courte durée qui se poursuit au-delà de 3 ans devient, en principe, un bail de 9 ans bénéficiant du statut légal des baux commerciaux (voir § 853).

En revanche, l’autorisation de poursuivre une occupation à titre précaire, justifiée par des circonstances particulières, exclusive de toute fraude, ne modifie pas le droit d’occupation précaire (cass. civ., 3e ch., 21 novembre 1984, Loyers 1985, n° 111). Il en est de même de la prorogation consentie à titre de simple tolérance (cass. civ., 3e ch., 16 mars 1988, n° 86-17370). Dans tous les cas, le maintien dans les lieux de l’occupant au-delà de la période prévue par la convention n'entraîne pas l’application du statut (cass. civ., 3e ch., 2 avril 2003, n° 01-12923).

  • Renonciation au statut. Justifie légalement sa décision de débouter les occupants de leur demande tendant à obtenir le bénéfice du statut des baux commerciaux la cour d’appel qui relève qu’ils n’avaient occupé les locaux qu’en vertu d’une convention d’occupation précaire spécifiant expressément qu’ils ne pouvaient prétendre au statut des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 5 mars 1997, n° 95-12384).

  • Statut revendiqué par le bailleur. Le bailleur ne peut pas mettre en avant le maintien dans les lieux de l’occupant au-delà du terme prévu par la convention d’occupation précaire pour en conclure que le statut des baux commerciaux s’applique depuis ce terme (CA Paris, 16e ch., 11 octobre 2006, AJDI 2007, 200).

  • Contrat administratif. La convention intitulée « contrat administratif » autorisant l’exploitation d’une buvette sans possibilité de cession est de nature administrative et ne peut être soumise au statut des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 13 mars 2002, n° 00-18218).

  • Local dépendant du domaine public vendu à une SCI. La SNCF consent à une société une convention d’occupation précaire sur un local situé en gare de Versailles Rive Gauche. Par la suite, ce local est déclassé du domaine public et vendu à une SCI. La société locataire en profite pour revendiquer le statut des baux commerciaux mais sa demande est rejetée. Le déclassement du domaine public ne modifie pas le caractère précaire de la convention (cass. civ., 1re ch., 17 octobre 2012, n° 11-20039).

  • Domaine public et fonds de commerce. Depuis la réforme opérée par la loi 2014-626 du 18 juin 2014, « un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre » (c. gén. propr. pers. pub. art. L. 2124-32-1). Pour autant, une clause de la convention d'occupation peut contrecarrer cette règle. Ainsi, lors du renouvellement d’une convention, une commune avait inséré une clause stipulant que l'occupation ne donnerait lieu à la création d'aucun fonds de commerce. Le Conseil d’État a validé cette clause, considérée comme indissociable du reste de la convention et qui, bien que méconnaissant l’article L. 2124-32-1 précité, ne constituait pas un vice d’une particulière gravité justifiant de l’annulation de celle-ci (CE, 8-3 ch., 11 mars 2022, n° 453440).

  • Bail commercial consenti à tort. Le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public consent un bail commercial à une société qui, postérieurement, acquiert le fonds de commerce du précédent locataire. Cependant, il n'aurait pas dû accorder ce bail commercial car il ne pouvait accorder plus de droits qu'il n'en avait lui-même. La société est donc en droit de lui réclamer des dédommagements. En effet, « la reconnaissance d'un lien contractuel précaire qui, en se substituant à un bail commercial, entraîne la perte du droit au renouvellement attaché à ce bail, ouvre droit à réparation du préjudice qui en résulte » (cass. civ., 3e ch., 28 janvier 2021, n° 19-25036).

Les cas de fraude

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La précarité ne doit pas avoir pour but, avoué ou non, d’éluder le statut des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 25 mai 1977, n° 76-10226). Les tribunaux ont tous pouvoirs pour déterminer la véritable nature du contrat en fonction des circonstances qui ont dicté sa conclusion. Ils doivent rechercher les données objectives caractérisant la précarité (cass. civ., 3e ch., 12 octobre 1988, Loyers 1988, n° 529).

Prête-nom. Une convention dite d’occupation précaire faisant suite à cinq conventions successives (pareillement dénommées et conclues soit avec le locataire, soit avec un prête-nom) a été jugée frauduleuse comme conclue pour faire échec à l’application du statut légal des baux commerciaux (cass. civ., 3e ch., 1er avril 2009, n° 07-21833).