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Parution: avril 2022

Le défaut de paiement des loyers lors des périodes d'interdiction d'ouverture

Une question délicate

1040

Pendant les périodes de confinement et de fermeture imposées au cours de l'épidémie de covid-19, les locataires étaient-ils en droit de ne pas régler leurs loyers ?

Les différents textes pris par le gouvernement durant la crise sanitaire ne leur ont pas accordé ce droit. Aussi, la doctrine et les praticiens se sont-ils tournés vers les dispositions du code civil pour rechercher si une réponse favorable pouvait être donnée aux locataires (voir §§ 1041 et s.).

Cette recherche conserve tout son intérêt en raison des contentieux en cours sur cette question.

Pour autant, une réponse parfaitement sûre ne peut être apportée, les juges saisis de ce type de litige n'ayant pas toujours adopté une jurisprudence uniforme et la Cour de cassation ne s'étant pas encore prononcée. De la jurisprudence actuelle, on peut toutefois retenir que les arguments des locataires sont très généralement repoussés (voir §§ 1042, 1044 et 1047), à l'exception de celui tiré de l'article 1722 du code civil qui a parfois prospéré devant certains tribunaux (voir § 1049).

  • Position de la Cour de cassation toujours attendue. La Cour de cassation avait été saisie par le tribunal judiciaire de Chartres qui souhaitait savoir si les dispositions du code civil relatives à la force majeure, à l'exception d'inexécution ou à la perte de la chose louée pouvaient s'appliquer en raison de la fermeture des locaux commerciaux imposée par le gouvernement au cours de l'épidémie. Cependant, suite à l'accord du bailleur et du locataire, le contentieux a pris fin et la Cour de cassation n'a donc pas donné son avis (cass. civ., 3e ch., 6 octobre 2021, n° K2170013).

  • Position du ministère de l'Économie. Le ministre de l'Économie a rappelé que les bailleurs ont retrouvé tous leurs droits à l'issue de la crise sanitaire, y compris sur les loyers qui n'auraient pas été acquittés pendant le période de confinement. Le ministre conseille aux bailleurs et aux locataires de recourir à des modes amiables de règlement des différents en saisissant le médiateur des entreprises ou la commission départementale de conciliation des baux commerciaux (Rép. Moga, JO Sénat du 27 janvier 2022, quest. n° 22245).

La force majeure

Le covid-19 invoqué comme cas de force majeure

1041

La force majeure est ainsi définie par le code civil :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (c. civ. art. 1218, al. 1er).

Autrement dit, un évènement est un cas de force majeure lorsqu'il est imprévisible, extérieur et irrésistible, ce qui pourrait correspondre aux cas des fermetures imposées à certains commerces pendant le confinement.

Les effets d’un cas de force majeure sont les suivants : « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 » (c. civ. art. 1218, al. 2).

Décisions de justice rendues sur cet argument

1042

La Cour de cassation considère que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (cass. com. 16 septembre 2014 n° 13-20306).

La force majeure ne peut donc pas, à elle seule, permettre au locataire de s’affranchir du paiement des loyers échus pendant le confinement. C'est la solution retenue par le tribunal judiciaire de Paris (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 28 octobre 2021, n° 16/13087).

Quelques mois plus tard, le tribunal judiciaire de Paris a considéré, de façon plus nuancée, que le locataire ne pouvait « s'exonérer de tout paiement » en invoquant un cas force majeure car il ne justifiait pas avoir été effectivement placé dans l'impossibilité financière de faire face à ses différents engagements contractuels (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 20 janvier 2022, n° 20/06670).

Dans le même ordre d'idées, la cour d'appel de Grenoble a écarté la force majeure, le locataire ne justifiant pas de difficultés de trésorerie rendant impossible le paiement du loyer (CA Grenoble 5 novembre 2020, n° 16/04533).

La cour d'appel de Paris a, de façon plus catégorique, repoussé l'argument du locataire fondé sur la force majeure : l'obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est pas, par nature, impossible ; elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse (CA Paris, pôle 1, 2e ch., 20 janvier 2022, n° 21/11811).

La bonne foi

Les contrats doivent être exécutés de bonne foi

1043

Le code civil exige que les contrats soient exécutés de bonne foi, cette disposition étant d'ordre public (c. civ. art. 1104).

Certains locataires, qui ont dû fermer leur commerce pendant la pandémie, font valoir que le bailleur n'exécute pas le bail de bonne foi lorsqu'il réclame le paiement des loyers correspondant aux périodes de fermeture imposée.

Décisions de justice rendues sur cet argument

1044

L'argument de la bonne foi (voir § 1043) a trouvé un certain écho auprès des juges. Ainsi, la cour d'appel de Riom a estimé que les parties étaient tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives. Pour autant, le bailleur ayant proposé un report et un échelonnement des loyers concernés par la période du confinement, il avait, en l'espèce, satisfait à son obligation de bonne foi (CA Riom, 1re ch. civ., 2 mars 2021, n° 20/01418).

Dans le même ordre d'idées, le tribunal judiciaire de Paris a considéré que :

-le bailleur était de bonne foi lorsqu'il proposait un aménagement des conditions de paiement sans exiger le paiement immédiat des loyers et charges (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 10 juillet 2020, n° 20/04516) ;

-le preneur ne pouvait pas reprocher au bailleur une exécution de mauvaise foi du bail car il ne lui avait pas proposé une adaptation des modalités d'exécution du contrat, mais avait sollicité une annulation pure et simple des loyers et charges (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 20 janvier 2022, n° 20/06670).

L’exception d’inexécution

Le bailleur n’a pas pu respecter ses obligations…

1045

Le bailleur est obligé (c. civ. art. 1719) :

-de délivrer au preneur la chose louée ;

-d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;

-d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

Lorsque leur local a été fermé pendant le confinement, certains locataires soutiennent que le bailleur n’a pas pu, pendant cette période, respecter ces obligations légales.

… le locataire refuse d’exécuter les siennes

1046

Certes, c'est en raison d'un cas de force majeure que le bailleur n'a pas pu remplir ses obligations : l’interdiction pour certains commerces d’ouvrir pendant le confinement était, pour le bailleur, un évènement imprévisible, extérieur et irrésistible (voir § 1041). Le bailleur ne peut donc pas être tenu responsable.

Pour autant, le locataire serait en droit de faire valoir l'exception d'inexécution :

« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave » (c. civ. art. 1219).

Ainsi, le locataire pourrait soutenir que le bailleur n’ayant pas exécuté ses obligations, il serait lui-même dispensé de respecter les siennes pendant la même période.

Notons toutefois que, depuis le 1er octobre 2016, le code civil dispose également :

« Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais » (c. civ. art. 1220).

Si pendant le confinement, cette suspension n’a pas été notifiée par le locataire, son omission pourrait ainsi lui être reprochée.

Décisions de justice rendues sur cet argument

1047

Le tribunal judiciaire de Paris a statué sur la demande d'un locataire qui faisait valoir l'exception d'inexécution pour récupérer les loyers réglés pendant la fermeture de son magasin. Le tribunal a repoussé cette demande en relevant que (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 25 février 2021, n° 18/02353) :

-le magasin permettait au locataire d'exercer l'activité prévue au bail ;

-le bailleur n'était pas garant du trouble de jouissance résultant de la fermeture administrative du magasin.

Quelques mois plus tard, le tribunal judiciaire de Paris a confirmé sa position, soulignant que l'article 1719 du code civil (voir § 1045) n'avait pas pour effet d'obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif dans lequel s'exerçait son activité (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 28 octobre 2021, n° 16/13087).

La cour d'appel de Paris a également repoussé l'argument du locataire fondé sur l'article 1719 du code civil, en retenant que le bailleur avait continué de mettre les locaux à la disposition du locataire pendant les périodes de fermeture imposées au cours de la pandémie (CA Paris, pôle 1, 2e ch., 20 janvier 2022, n° 21/11811).

La destruction de la chose louée

L'impossibilité d'utiliser le local

1048

Le code civil dispose : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement » (c. civ. art. 1722).

Cet article 1722 du code civil est parfois utilisé par les locataires pour refuser de payer les loyers correspondant à la période de fermeture de leur commerce imposée au cours de la pandémie. L'argument consiste ici à défendre l'idée que l'article 1722 ne s'applique pas uniquement en cas de destruction matérielle du local mais chaque fois que le locataire est mis dans l'impossibilité de l'utiliser.

Décisions de justice rendues sur cet argument

1049

Le tribunal judiciaire de La Rochelle a admis l'efficacité de l'argument fondé sur l'article 1722 du code civil et conclut qu'à ce titre, les loyers courus entre le 16 mars et le 11 mai 2020 n'étaient pas exigibles. Le tribunal a, en effet, considéré qu'une décision administrative ordonnant la suspension de l'exploitation d'un commerce équivalait à la perte de la chose louée (trib. jud. La Rochelle 23 mars 2021, n° 20/02428).

Le tribunal judiciaire de Toulouse a également considéré que la fermeture imposée aux commerçants pendant la pandémie équivalait à une perte partielle de la chose louée (trib. jud. Toulouse 1er juillet 2021, n° 21/02415). La Cour d'appel de Douai a adopté une position identique (CA Douai, 8e ch., 2e sect., 16 décembre 2021, n° 21/03259).

Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a, lui aussi, estimé que l'impossibilité juridique, résultant d'une décision des pouvoirs publics, d'exploiter les lieux loués était assimilable à la situation envisagée par l’article 1722 du code civil (trib. jud. Paris, jugement du juge de l’exécution du 20 janvier 2021, n° 20/80923).

D'autres décisions du tribunal judiciaire de Paris ont adopté une position contraire en retenant que les mesures de fermeture résultaient de la nature de l'activité économique exercée dans les lieux loués et non de la chose louée elle-même, qui n'était pas détruite, pas même partiellement (trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 28 octobre 2021, n° 16/13087 ; trib. jud. Paris, 18e ch., 2e sect., 20 janvier 2022, n° 20/06670).